Cinq ans après Tsushima, "Ghost of Yotei" offre une virée somptueuse et violente dans le Japon féodal

Quand on demande aux équipes de Sucker Punch Productions (InFamous, Sly…) si Ghost of Tsushima les a fait passer dans une autre dimension, la réponse est empreinte d’humilité. Pourtant, c’est une réalité pour le studio de Seattle, connu pour son style corrosif et irrévérencieux, qui a donné naissance il y a cinq ans à l’un des jeux les plus marquants de ces dernières années.
Après le jeu de plateforme, les superhéros et l’action à l’américaine, Ghost of Tsushima était apparu comme une aventure inattendue, une quête personnelle pour son héros, Jin Sakai, samouraï s’interrogeant sur le sens de son existence et du respect de son code de l’honneur. Un jeu magistral dans le Japon féodal couronné de succès, avec plus de 10 millions d’unités vendues. Et quand on en discute avec Nate Fox, directeur créatif du jeu, tout cela tient finalement un peu de l’évidence.
Le chambara du choix
L’homme est féru de cinéma, fan du Japon, de sa culture et de pop culture, mais surtout grand amateur de films de samouraïs et il a voulu poursuivre cette exploration avec Ghost of Yotei, nouvel épisode qui arrive ce 2 octobre exclusivement sur PS5. "L’idée vient des films de samouraïs classiques qui nous ont beaucoup inspirés avec leur noblesse et l’art martial. Ils sont la quintessence de la franchise", explique Nate Fox. "La proximité humaine, les histoires à vous faire pleurer, la violence des combats et la beauté de la nature, notamment exprimée par le cadrage d’Akira Kurosawa, définissent vraiment ce qu’est un jeu Ghost of et nous y resterons fidèles".

Et ce goût pour le cinéma japonais des Sept Samouraïs à Yojimbo ou à 13 Assassins, transparaît à chaque instant, tant dans la mise en scène des combats, où les adversaires se font face en gros plan avant de se lancer dans une chorégraphique ultra précise et fatale, et bien souvent aussi violente que jubilatoire. "Ce n’est pas juste un film d’action, c’est aussi une puissante expérience", ajoute Nate Fox, rappelant l’importance d’un monde où se côtoient drame et émotion.
L’histoire prend place cette fois en 1603 à Ezo, ancien nom d’Hokkaido, avec ses paysages variés et majestueux. Et le choix n’est pas anodin. "C’est un endroit que l’on veut explorer dans ses rêves… parfait pour un jeu où l’on se perd dans la beauté des paysages", évoque l’Américain. Un décor somptueux pour une époque sombre, dangereuse dans un Japon alors en pleine mutation, tentant de résister aux invasions. Mais Ghost of Yotei veut aussi profiter de la splendeur des paysages pour inviter à la contemplation avec une direction artistique qui sublime chaque chevauchée dans les plaines au pied du mont Yotei, dans les forêts ou les contreforts de la montagne posée là comme un sage suivant l'évolution des joueurs dans les pas d’Atsu, personnage sanguin, porté par sa soif de vengeance et sa réflexion sur la résilience humaine.
Une héroïne en quête de vengeance et de résilience
Si l’on cherche un lien entre les deux épisodes de la franchise, ce ne sera ni par l’époque (300 ans les séparent), ni par les lieux, l’histoire ou encore les héros. Jin était un noble samouraï. Atsu est une mercenaire issue d’un milieu modeste. "Nous voulions raconter l’histoire d’un outsider, quelqu’un en qui personne ne croit pour défier les guerriers les plus redoutés", explique Nate Fox. Et ce choix narratif confère une fraîcheur au récit, en s’éloignant des habituels principes du code d’honneur des samouraïs.
Malgré des primes sur sa tête, Atsu veut éliminer les Six de Yotei, un groupe qui a décimé sa famille et l’a laissée pour morte. La vengeance marque chacun de ses pas, au point de devenir pour les populations une onryo, figure vengeresse redoutée et admirée à la fois. Un personnage tout en contraste, femme qui peut paraître fragile, mais manie les armes comme personne et laisse de nombreux cadavres sur sa route. Danger et beauté, deux éléments indissociables dans ce Ghost of Yotei qui dévoile un open world dévolu à la liberté de choix des joueurs (aller droit dans sa quête ou bien errer à la découverte des lieux et de soi-même, d'une certaine façon).
Ghost of Yotei, par sa carte vide initialement et l’utilisation faite de longue-vue pour découvrir des lieux ou autres artefacts, incite à la curiosité, à l’exploration pour comprendre et découvrir. Si vous n’êtes pas curieux, vous risquez de vous y perdre faute d’indices et ce serait dommage de rater ce pan entier de l’émotion née du voyage d’Atsu et de cette plongée dans la richesse de la culture japonaise.
Une ode à la liberté qui peut freiner
Mais Yotei n’est pas qu’une simple histoire de vengeance et tient sa part d’espoir aussi. "C’est une histoire de triomphe sur le traumatisme, d’espoir. Atsu passe de la solitude à la reconstruction, en s’entourant d’une 'meute' de compagnons, sa famille choisie", qui viennent l’épauler au fil de l’histoire, confie Nate Fox.
Une véritable dimension narrative, mais aussi collaborative dans son intention, propre à Sucker Punch, un studio qui "fonctionne sur le modèle de la collaboration et de l’échange", précise le responsable, rappelant que le choix du thème a été fait par l’équipe entière. Et une volonté toujours palpable auprès du studio de miser sur des récits capables de "bouleverser, faire vibrer et émerveiller." Atsu en héroïne portée par le dépassement de soi, le besoin de "se battre pour gagner le respect", permet au joueur de vivre une expérience similaire.
"Quand on ressent la perte ou l’amour en contrôlant Atsu, non pas dans une cinématique, mais via le gameplay, alors on a atteint la promesse du média interactif", résume Nate Fox, directeur créatif de Ghost of Yotei.
La culture japonaise, son sens de l’honneur et du devoir, ses habitants et traditions: tout cela faisait un cocktail parfait pour une histoire poignante, passée par l'esthétique des films de combats - avec une petite pointe d’hommage aux westerns -, donnant les éléments parfaits d’un jeu vidéo. "Notre objectif était d’apporter une immersion véritable, pour que les gamers japonais puissent s’investir sans être distraits par des erreurs occidentales", ajoute l’intéressé. Et le souci de véracité culturelle a payé pour Sucker Punch avec des médias japonais qui ont salué le jeu, comme le respecté Famitsu qui lui a attribué une note quasi parfaite (39/40) et en a fait la une de son magazine.

L'ombre GTA VI s'est éloignée vers 2026, Ghost of Yotei a un boulevard pour illuminer la fin d'année. Le nouveau jeu de Sucker Punch se veut une ode à la résilience, une invitation au dépassement de soi, l'assiduité de l'engagment (il faut trouver des maîtres pour apprendre le maniement des armes ou des charmes). Le studio reconnaît que Tsushima a posé de belles bases et il a su peaufiner les éléments clés du premier opus pour se donner et donner aux joueurs plus de liberté. Mais son successeur sait aussi trouver son identité propre, poétique et sanglante à la fois.
Un souffle nouveau sur Yotei, qui pourra en désarçonner certains par le manque d’accompagnement, mais une expérience suffisamment singulière et magnifique pour avoir envie de partir au combat. Un combat physique et intérieur qui mérite que l’on prenne le temps de s’y immerger.
GHOST OF YOTEI - Disponible exclusivement sur Playstation 5.