"C'est compliqué de venir nous concurrencer": comment "Farming Simulator" est devenu incontournable

Dans les bureaux de Erlangen, près de Nuremberg, on s'affaire à peaufiner les derniers éléments des prochaines extensions du jeu star de la maison. Depuis 17 ans, Farming Simulator règne sans partage sur la simulation de vie agricole. "C'est compliqué de venir nous concurrencer. Il y a eu beaucoup de boulot fait depuis le début, d'investissement, une communauté forte. Ca ne se construit pas comme ça", résume à Tech&Co Martin Rabl, directeur marketing de Giants Software. On compte Stardew Valley comme autre jeu populaire pour s'occuper de sa ferme, mais sur un registre moins réaliste.
Farming Simulator vous met à la tête d’une exploitation à faire fructifier, en plantant, récoltant et gérant. Une idée simple qui a transformé ces fans de grand air en acteurs importants - à leur façon - de l'agriculture mondiale.

"Les cofondateurs du studio rêvaient d’un jeu qui simule un tracteur, puis tous les aspects de la vie à la ferme, quelque chose de nouveau", explique Martin Rabl. "L'un de leurs amis avait conçu un moteur de jeu pour sa thèse. Ils lui ont demandé de plancher sur un jeu qui s'est d'abord appelé Tractor Sim."
Pour juger de la viabilité de leur projet, les trois hommes créent un forum pour sonder de potentiels joueurs sur leurs attentes. Ils pensaient n’avoir que quelques réponses, ils se retrouvent rapidement inondés de messages de personnes intéressées. L'idée a du potentiel, ils se lancent.
Un jeu d’agriculture pour les agriculteurs
Farming Simulator naît sur PC en Allemagne, pays natal du studio, en 2008 et prend même la tête des ventes. Son concept est novateur. Sans grande surprise, ses premiers joueurs sont issus du monde agricole. Ils ont grandi à la ferme, sont fermiers ou ont des proches qui le sont. Ils se retrouvent complètement dans cette simulation. "Ils ont adoré l’idée de pouvoir jouer avec quelque chose qu’ils connaissaient, de voir que c’était aussi possible d’en faire un jeu", souligne Martin Rabl. "Rapidement, d’autres types de joueurs y sont venus, pas forcément issus du milieu agricole, mais désireux d’avoir un jeu reposant, sans être poursuivi par des démons ou des zombies. Farming Simulator était fun pour ça", s’amuse-t-il.
Un argument fait mouche: le réalisme. "C’est un jeu cozy qui séduit par son côté réaliste", résume Martin Rabl. La représentation de la campagne, des machines agricoles, des plantations, la gestion, les premiers joueurs sont séduits. "On avait des messages nous disant combien c’était ce qu’ils connaissaient", ajoute-t-il.
Farming Simulator 25 propose plus de 400 véhicules de 150 marques différentes. Les anciens modèles sont souvent remplacés par leurs versions modernes, accompagnant l'évolution du secteur agricole.
Une communauté forte et des modders actifs au service du réalisme
Farming Simulator s’appuie sur une communauté extrêmement active et sur des modders qui ont ajouté au fur et à mesure ce qui manquait encore entre leur quotidien et le jeu. Pour le dernier opus lancé fin 2024, on compte déjà près d’un millier de mods partagés sur le site dédié. Depuis près de 15 ans, le modding contribue à la réussite et à la popularité du titre, avec des centaines de millions de téléchargements.
Avant de devenir responsable du design des véhicules et du gameplay, Stefan Maurus a commencé sur le jeu en modder. "J’ai grandi dans une ferme. Quand le jeu est sorti, c’était nouveau. On aimait les tracteurs, on aimait la ferme. Forcément, on voulait y jouer", se rappelle-t-il avec le sourire. "Dans la vie réelle, vous n’avez pas l’opportunité de conduire ces gros tracteurs, mais dans le jeu, on pouvait le faire, créer la ferme qu’on voulait aussi".

Cette expertise collective pousse Giant Software à l'exigence. "Certains voient un véhicule et ils vont nous dire: 'ah non, mais la vis n’est pas au bon endroit'. Il faut qu’on fasse attention au moindre détail", reconnaît Martin Rabl qui sait que fidélité et immersion sont les maîtres mots du jeu.
Le succès du jeu passe par le réalisme de ses engins. Fendt, fabricant majeur du secteur, avait été le premier à faire confiance au studio dès son tout premier opus. Le reste des machines avait été modélisé en se rendant dans des exploitations pour prendre les mesures de véritables moissonneuses-batteuses, motoculteurs et autres pulvérisateurs en action.
De la persuasion à la collaboration
S’ils ont tout d’abord regardé ça de très loin, très vite les ténors du secteur ont compris l’intérêt qu’ils avaient de jouer le jeu. Aujourd'hui, les John Deer, Claas, New Holland ou autre Case IH frappent tous à la porte pour avoir une place de choix dans le prochain jeu, voire le privilège d’afficher leur dernière machine en couverture du nouveau Farming Simulator. "On discute, on réfléchit avec eux sur la représentation dans le jeu. Nous travaillons même parfois avec certains avant la sortie d’un modèle qui va apparaître dans le jeu à peu près au même moment où il sera présenté dans la vraie vie", se félicite le directeur marketing de Farming Simulator.
"Il est désormais loin le temps où il fallait aller les convaincre de l’intérêt du jeu et de l’importance d’y figurer. Désormais, ils admettent l’impact positif sur leur image de marque et veulent tous y apparaître", glisse Martin Rabl.
Mais, si le réalisme des engins est essentiel, les développeurs n'oublient pas qu’il s’agit avant tout d’un jeu de simulation. "On doit proposer de la diversité dans les machines et les marques, des modèles différents pour varier l’approche du jeu", souligne Stefan Maurus. "Il faut parfois négocier et arriver à un compromis pour que le jeu reste équilibré. Certains sont étonnés quand on vient les voir pour leurs plus petits tracteurs. Mais les joueurs ont aussi besoin de ça."

Une attention aux détails qui va jusqu’à proposer les versions différentes d’un tracteur selon qu’ils soient vendus en Europe ou aux États-Unis, mais aussi en fonction des différents types de joueurs. "Les Américains aiment les gros engins, les Européens les plus petits. On a ajouté le riz parmi les cultures possibles pour les joueurs asiatiques, même si on sait que ça intéressera moins d’autres joueurs à l’autre bout de la planète. On essaie de faire plaisir à tout le monde quand on peut", consent Martin Rabl.
L’immersion par le son et les détails
Un jeu en représentation de la vie agricole, mais avec quelques adaptations. "À la ferme, tout n’est pas toujours drôle. On essaie de limiter les moments moins fun dans le jeu, mais il faut néanmoins passer par certains pour vivre la simulation", glisse Stefan Maurus qui admet que certains éléments et gestes ne vont pas être aussi similaires que dans la réalité pour garder un aspect jeu vidéo.
Pour rester immersif, le jeu s'appuie aussi sur une immersion sonore et visuelle poussée. Les bruits des équipements agricoles ont été enregistrés en conditions réelles, les effets visuels deviennent plus précis: déformation du terrain sous le poids des tracteurs, traces de roues, météo dynamique avec impact sur la culture, la récolte et le travail à la ferme. Les nouvelles technologies et nouvelles tendances font progressivement leur apparition pour retranscrire l'évolution de l'agriculture (GPS, agriculture de précision, analyse des sols pour adapter leur agriculture, etc.)
"On a dans l’équipe des gens qui suivent les évolutions, se tiennent informés. Je suis sûr qu’ils savent déjà ce que l’agriculture va devenir d’ici cinq ans", confie Martin Rabl. Jeu de passionnés pour passionnés, Farming Simulator a su s'émanciper de son public agricole pour toucher des joueurs plus urbains heureux de gérer leur exploitation virtuelle. Vendu à des millions d’exemplaires, le titre reste à l’écoute d’une communauté très active qui le lui rend bien. Le secteur décline, mais Farming Simulator maintient à sa façon l’intérêt pour le milieu agricole. Entre simulation et évasion, peut-être suscite-t-il des vocations à sa façon.