Comment la Grèce a utilisé la technologie pour réinventer son système fiscal

Un drapeau grec (Photo d'illustration). - ANGELOS TZORTZINIS
Dans un siège flambant neuf à Athènes, l’Autorité indépendante des recettes publiques grecque surveille de près ses écrans. Sur les murs, défilent en temps réel des flux de données, de drones et de caméras installées aux quatre coins du pays: ports insulaires, boîtes de nuit, silos à grains ou stations-service. Les inspecteurs traquent la fraude fiscale grâce au big data, à l’intelligence artificielle et à des contrôles ciblés, dans ce qui s’apparente à une véritable révolution numérique… de la collecte des impôts.
Longtemps synonyme d’inefficacité, le système fiscal hellénique est devenu "un modèle en Europe", rapporte AP. Pour comprendre pourquoi la Grèce mise aujourd’hui sur ce dispositif ”futuriste”, il faut remonter près de vingt ans en arrière. La crise financière mondiale de 2008 a frappé un pays déjà fragilisé par un endettement massif et un déficit budgétaire hors de contrôle. À son pic, la dette atteignait près de 177% du PIB (fin 2014) et le déficit dépassait 13%.
Athènes a perdu l’accès aux marchés financiers et a dû accepter trois plans de sauvetage de l’Union européenne et du FMI. En contrepartie: une austérité d’une rare brutalité, faite de coupes budgétaires, de hausses d’impôts et d’un chômage record. Après près d’une décennie de récession et de manifestations de masse, la Grèce est sortie de ses programmes d’aide en 2018.

Des inspecteurs fiscaux 2.0
Mais le pays porte encore les cicatrices profondes de cette épreuve. Et sa transformation fiscale s’explique par une stratégie assumée: utiliser la technologie pour resserrer les mailles du filet. Au siège de l'Autorité, on suit ainsi à l'écran les inspections en cours, les flux des drones couvrant divers sites et activités, ainsi que les relevés en direct des réservoirs de carburant des navires ou les mouvements des camions de livraison de fruits.
"Nous avons travaillé systématiquement au fil des ans, avec dévouement. Nous sommes passés d’une situation sans données à une situation avec des mégadonnées", a déclaré Giorgos Pitsilis, gouverneur de l’autorité fiscale, à l’Associated Press.
Sur le terrain, la technologie se traduit par des méthodes de contrôle inédites. Les inspecteurs comparent désormais les reçus des caisses enregistreuses, les transactions bancaires et même l’activité des téléphones mobiles avec les images filmées par des drones. Ces données croisées permettent de déceler rapidement les incohérences et de cibler les fraudeurs. Résultat: des ventes dissimulées détectées en quelques heures, des raids ciblés et des recettes fiscales en forte hausse.
Des opérations coup de poing inédites
Certaines interventions marquent les esprits. Lors d’une opération sobrement baptisée “Saturday Night Fever”, les agents ont comparé les commandes d’une boîte de nuit aux factures émises, révélant des ventes massives non déclarées. En quelques jours, les revenus officiels de l’établissement... avaient doublé.
Ce type de raids illustre la nouvelle efficacité d’un système fiscal qui, longtemps perçu comme laxiste, se veut désormais redoutable. Et les autorités fiscales estiment qu'une intégration plus poussée de l'intelligence artificielle dans les systèmes de gestion fiscale jusqu'en 2026 pourrait favoriser une accélération de ce processus.
Mais derrière le succès budgétaire, la colère sociale reste vive. Le taux de TVA, fixé à 24% depuis la crise, pèse lourdement sur les ménages et la pauvreté demeure élevée. L’opposition dénonce un "excédent taché de sang", fruit d’un effort fiscal inégalement réparti. Pour le gouvernement, toutefois, la rigueur a ouvert un espace inédit, celui d’une réforme fiscale qui, promet-on, devra rendre le système plus juste.