"Menace pour les opérateurs historiques" ou "opportunités": pourquoi l'eSim va tout changer

Sommes-nous à la veille de la fin d'une ère? Lancée en 1991, la carte Sim n'en finit plus depuis de rétrécir. Par petits bonds, avec la mini-Sim (1996), la micro-Sim (2003) et finalement la nano-SIM (2012). Apple a largement présidé à la réduction de la taille de ce sésame. Désormais, il pourrait conduire à sa disparition.
En dévoilant son iPhone Air, fin et léger, le géant de Cupertino n'a pas simplement fait des choix lourds et quelques sacrifices techniques, notamment au niveau de la batterie. Il lui a également fallu faire une croix définitive sur l'emplacement de la carte Sim physique. Pour s'identifier et se connecter au réseau d'un opérateur, il faudra donc utiliser une eSim, une carte Sim virtuelle.
L'eSim en France n'est pas une nouveauté. Les opérateurs français la prennent en charge depuis déjà quelques années déjà. Orange, qui a été le premier à l'adopter, a ainsi fourni une connexion via eSim au Samsung Galaxy Gear dès 2016, puis aux Apple Watch dès 2017, avant d'ouvrir ce service aux smartphones en 2019. L'opérateur a été depuis rejoint pas ses concurrents sur ce type d'offres.
La Sim, un "objet du passé" qui a la vie dure
Néanmoins, l'arrivée d'un smartphone uniquement eSim en Europe est une petite révolution. "Cela pourrait être l'an I de l'eSim", juge même Bona Ung, directeur marketing mobile grand public pour Orange France. Jusqu'à présent, seuls les Etats-Unis avaient eu droit à des iPhone eSim uniquement et ce depuis 2022. Sur le Vieux continent, cette année encore, on conserve le petit tiroir sur les iPhone "classiques" (iPhone 17, iPhone 17 Pro/Pro Max). Des rumeurs laissaient croire à une bascule massive, mais Apple a finalement joué la prudence.
Une prudence qui pourrait être liée au fait que tous les opérateurs ne se réjouissent pas de voir arriver l'eSim. Même si cette bascule paraît inéluctable. En effet, selon le cabinet Counterpoint, le nombre d'appareils prenant en charge l'eSim sera de 9 milliards en 2030. D'ailleurs, pour Jacques Bonifay, co-fondateur de Transatel et président de MVNO Europe, "l'eSim va s'imposer comme la nouvelle norme (...). La carte Sim physique est appelée à devenir un objet du passé."
Cependant, la carte Sim a encore de beaux jours devant elle. Tout d'abord, parce que "tous les opérateurs européens n'ont pas encore réalisé les investissement nécessaires pour pouvoir proposer des eSim", met en perspective pour nous le représentant d'Orange. Si le passage à l'eSim est relativement transparent pour les utilisateurs, il demande en amont de lourds investissements pour les opérateurs. Non pas du côté des réseaux, mais dans leur système informatique, qui permet la gestion des comptes clients. Le morcellement du territoire européen explique que la bascule vers l'eSim soit plus difficile sur le Vieux continent qu'aux Etats-Unis.
Mais, les opérateurs ne sont pas les seuls responsables. Les abonnés mobiles, français tout au moins, semblent attacher à leur carte Sim physique. Ainsi, Bona Ung nous confie que "parmi tous les abonnés mobiles Orange équipés d'un smartphones compatibles avec l'eSim, seuls 5% ont fait le choix de cette technologie".
Une plus grande flexibilité
Sans surprise, la population concernée par l'eSim est, chez Orange, plutôt jeune, active, connectée, elle voyage également beaucoup et peut jongler entre deux Sim, un numéro professionnel et un numéro personnel cohabitant sur le même appareil. Il faut dire que l'eSim offre une flexibilité jusqu'ici jamais vue dans le milieu des télécoms. Jugez plutôt.
Lors de la prise d'abonnement, plus besoin d'attendre que la carte arrive à domicile, avec le risque de perte, ou d'avoir à aller la chercher en magasin. Il suffit de scanner un QR Code depuis les réglages du smartphone ou de suivre une procédure rapide pour l'ajouter automatiquement.
Pour utiliser plusieurs lignes téléphoniques en même temps? Plus besoin d'encombrer ses poches. Les smartphones de milieu de gamme et haut de gamme permettent de multiplier les lignes sur un seul appareil.
En vacances, dans les pays non pris en charge par votre forfait, il est possible de prendre un abonnement depuis son smartphone, à peine arrivé, et d'activer la carte eSim quelques secondes plus tard. "Dès 2017, avec notre marque Ubigo, nous avons été parmi les tous premiers à proposer une connectivité eSim mondiale disponible en quelques clics dans plus de 200 destinations," rappelle ainsi Jacques Bonifay, pour qui la prise en charge de l'eSim a permis "d'ouvrir en grand" les portes de la concurrence face aux acteurs historiques. "C'est forcément une mauvaise nouvelle pour les opérateurs dit historiques, car l'eSim favorise le changement", estime le représentant de MVNO Europe.
"Une évolution, synonyme d'opportunités" pour les opérateurs
Les opérateurs historiques qui ont bien voulu nous répondre, que ce soit Bouygues Telecom ou Orange ne se reconnaissent pas dans cette vision peut-être un brin... historique. "L'arrivée de l'eSim est plutôt une évolution, synonyme d'opportunités, de par la simplification de l'expérience client qu'apporte cette nouvelle technologie," nous explique un porte-parole de Bouygues Telecom. Un discours qu'on retrouve chez Orange.
En cette période de rentrée où le recrutement de nouveaux clients bat son plein, l'eSim est vu d'un bon œil afin d'accélérer l'acquisition de nouveaux venus, jusqu'ici peu motivés à l'idée de patienter pour recevoir leur carte sim physique.
Grâce à l'eSim, Bouygues Telecom a pu simplifier la bascule vers ses abonnements mobiles. "Pour toute souscription à un forfait avec engagement, l'eSim se télécharge automatiquement à l'allumage du téléphone lors de la première connexion au réseau Wifi.", nous explique l'opérateur.
Tandis qu'Orange n'est pas en reste. L'opérateur historique a lancé il y a peu une offre de découverte de son réseau 5G gratuite pendant un mois auquelle on accède grâce... à une eSim. "Afin de pouvoir comparer les performances des différents réseaux", glisse peut-être un peu taquin, Bona Ung.
Autre nouvelle opportunité, le "roaming entrant", explique le directeur marketing mobile grand public d'Orange. Sans nous fournir de chiffres, sans doute trop stratégiques, l'opérateur a constaté une augmentation conséquente du nombre de forfaits souscrits ponctuellement par des touristes. Au lieu de payer des frais de roaming éventuel à leur opérateur national, ces visiteurs souscrivent un forfait ou un passe temporaire, grâce à l'eSim...
Bref, Bouygues Telecom et Orange ne pourraient plus prendre leur distance avec l'assertion de Jacques Bonifay. Bouygues Telecom voit ainsi dans la démocratisation de l'eSim "un véritable levier de croissance". L'opérateur met également en avant le besoin grandissant de ses clients, professionnels ou non, de bénéficier de plusieurs forfaits sur un seul appareil. L'opérateur ne communique aucun chiffre sur le nombre d'abonnés concernés par l'eSim, mais la tendance est à la croissance: "Nous constatons une hausse de l'utilisation de l'eSim en mode hybride (usage multi-sim), avec un téléphone disposant d'un tiroir à carte sim physique et pouvant également supporter une sim virtuelle.
Chez Free aussi, on a bien compris l'évolution des usages, notamment chez les jeunes. Si l'adoption de l'eSim a été un peu compliquée, elle est désormais pleinement prise en charge que ce soit pour les nouveaux comme les anciens abonnés. En avril 2025, l'opérateur a ainsi rendu disponible l'option "eSim Quick Transfer", proposée par Apple, et qui permet de transférer son eSim en quelques secondes sans aucune perte en rapprochant deux iPhone.
Le risque de perdre le lien avec le client?
Reste qu'avec la démocratisation de l'eSim, les opérateurs risquent de devenir de simples fournisseurs de connectivité et perdre la main un peu plus sur la gestion de la relation client. La carte Sim physique était et est en quelque sorte le dernier segment du cordon ombilical historique qui relie le client et l'opérateur.
A l'opposé, l'eSim est synonyme de liberté du consommateur: "Auparavant, le client interagissait avec l'opérateur pour tout ce qui concernait la gestion de sa carte Sim. Avec l'eSim, le constructeur (du smartphone) prend le relais. La connectivité est désormais pleinement intégrée dans le système d'exploitation," écrivait Florian Jozefowicz, consultant en marketing stratégique chez Sofrecom, dans un post de blog daté de 2019. Preuve que le débat n'est pas neuf, mais que les positions des opérateurs ont elles aussi évolué.
Car, aussi bien Bouygues Telecom qu'Orange assument ce rôle de prestataire de service, leur rôle qui consiste à fournir les meilleurs connexions possibles, sans évidemment oublier leurs engagements commerciaux. Chez Orange, on se réjouit même de voir les clients "gagner en autonomie" grâce à l'eSim et pour ce qui est du lien, l'opérateur historique a un réponse toute trouvée: "Nous avons été désignés meilleur réseau mobile pour la 14e fois consécutive", lâche Bona Ung avec un sourire. Comme pour faire comprendre que les clients ne sont pas bêtes et savent là où se trouve leur intérêt. En définitive, le représentant d'Orange reconnaît volontiers que l'eSim change la donne et "nous oblige à être plus imaginatif", mais le bilan paraît pour l'heure plutôt positif.
Si ce n'est l'iPhone Air, Apple semble néanmoins laisser encore un peu de répit aux opérateurs et aux utilisateurs, qui ne paraissent pas être totalement prêts à sacrifier ce petit bout de plastique qui nous suit depuis près de 35 ans... Néanmoins, analyse Bona Ung, si un acteur peut provoquer la bascule, l'An I européen de l'eSim, c'est bien Apple, "acteur de ruptures et d'effets domino". Avec l'iPhone Air, le premier domino est tombé...
Ce qui se cache derrière l'appellation eSim:
Pour rentrer un peu plus dans le détail, ce qu'on appelle communément eSim repose en fait sur trois piliers :
- un minusculen module physique installé dans le téléphone à sa fabrication ;
- le logiciel eUICC, qui permet le provisionnement, la création du profil d'utilisateur qui est émis à la volée par l'opérateur lors de la configuration de la connexion mobile ;
- enfin, la plateforme permettant le provisionnement et la gestion à distance des profils réseau.
Comme nous l'expliquait, Bona Ung, directeur marketing mobile grand public pour Orange, avec les eSim, les opérateurs n'ont plus besoin d'acheter des cartes Sim à des partenaires encarteurs. Cependant, ils doivent toujours acheter des profils dématérialisés. C'est ce coût que certains opérateurs reportent parfois sur leurs clients.
Chez Orange, par exemple, le transfert vers l'eSim est offert si le nouveau téléphone a été acheté chez l'opérateur, mais est payant autrement.