Pourquoi les réseaux sociaux risquent de devoir vérifier l’âge de tous leurs utilisateurs français

Ce 2 mars, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à mieux définir la majorité numérique. Si le texte est validé après un passage par le Sénat, toute inscription d’un adolescent de moins de 15 ans (et de plus de 13 ans) sur un réseau social (Instagram, Snapchat, TikTok etc.) devra s’accompagner de l’accord de ses parents.
Dans sa première version, le texte ne concernait que la création de nouveaux comptes. Mais au cours des débats, un amendement est venu enrichir sa portée: en l’état, ces mêmes plateformes devront également recueillir une "une autorisation exprès" des parents pour les comptes "déjà créés et détenus par des mineurs" de moins de 15 ans.
Portée rétroactive
Cet ajout, qui donne une portée rétroactive au texte, a été adopté à l’unanimité et soutenu par le gouvernement. Résultat: tous les réseaux sociaux devront identifier les utilisateurs de moins de 15 ans… et donc vérifier l’âge de tous les utilisateurs français. Et ce dans les deux ans après la promulgation de la loi.
“Il y aura effectivement une vague de vérification d’âge d’ici deux à trois ans” confirme le cabinet du député Horizons et rapporteur du texte, Laurent Marcangeli, à Tech&Co.
Mais comme le soulignait la députée LFI Ségolène Amiot, ce texte ne s’accompagne d’aucune "véritable solution opérationnelle", puisqu’il laisse le soin à l’Arcom (ex-CSA) et la Cnil de trouver une solution de vérification d’âge fiable et respectueuse de la vie privée.
Un débat qui n’est pas sans rappeler celui de la protection des jeunes internautes face aux contenus pornographiques en ligne, là encore avec à la clef une impasse technique sur les procédures de vérification d’âge.
Défi inédit
Car la Cnil n’a pas attendu le vote de cette loi sur la majorité numérique pour travailler sur le sujet. Le 26 juillet 2022, la Commission publiait un long dossier mentionnant les solutions existantes, excluant - pour des raisons de protection de la vie privée - le fait de partager sa carte d’identité ou son passeport directement avec Facebook, TikTok et consorts.
Comme dans le débat sur l’accès au porno, la solution pourrait passer par l’utilisation d’un service tiers, attestant de l’âge de l’internaute, ouvrant la voie à de nombreuses entreprises souhaitant s’attaquer au marché de la vérification d’âge.
Pour conserver leur compte Facebook, Instagram ou Twitter, les Français devraient ainsi prouver leur âge à une entreprise tierce, spécialisée dans le domaine de la vérification d’âge ou déjà connue, comme leur opérateur téléphonique.
“On est dans l'archétype de l'exception culturelle de la législation à la française” tacle Alexandre Archambault, avocat en droit du numérique, auprès de Tech&Co.
A ses yeux, l’un des scénarios envisageables est le retoquage du texte, dont la portée et les sanctions (jusqu’à 1% du chiffre d’affaires mondial des plateformes récalcitrantes à mettre en place un tel outil) pourraient être jugées démesurées. La loi pourrait ainsi se faire censurer par le Conseil constitutionnel, mais aussi par la Commission européenne, comme ça pourrait prochainement être le cas concernant les tarifs de livraison des livres sur Amazon.
Si cette idée allait au bout, cette opération géante de vérification d’âge devrait constituer un défi particulièrement coûteux et chronophage pour les réseaux sociaux. De leur côté, l’Arcom et la Cnil, seraient contraints de définir et de valider une méthode aussi fiable que protectrice des données personnelles. Un défi inédit dans le monde.