"On a un impact sur les ventes": comment la plateforme Babelio est devenue le réseau social des fans de livres

Lorsque l'on veut noter un film, on se dirige vers Letterboxd, pour les jeux vidéo, il y a OpenCritic et Metacritic. Pour les livres, mangas ou BD, on peut compter sur deux grands acteurs du milieu, Goodreads et Babelio.
Ce dernier, créé en France en 2007 par des passionnés de lecture, permet d'enregistrer ses livres en scannant leur code barre, et ensuite de partager ses avis sur une oeuvre que l'on vient de terminer. Un réseau social incontournable, qui a vu son public se diversifier au gré des modes.
Un réseau social essentiellement féminin
Des romans à succès, primés ou non, aux mangas, jusqu'à la bande-dessinée, Babelio est devenu l'une des références pour quiconque souhaite aujourd'hui se constituer sa bibliothèque virtuelle. Mais à l'heure où les réseaux sociaux classiques, comme Tiktok, deviennent également des lieux où l'on peut s'informer pour trouver de quoi lire, Babelio se présente comme une alternative crédible et utile, qui peut aussi avoir un impact sur le succès en librairie d'un livre.
"On a plutôt des utilisatrices," explique Guillaume Teisseire, cofondateur de Babelio, "mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que nous avons deux communautés, ceux qui sont inscrits et qui participent, et ceux qui viennent visiter le site pour avoir des recommandations".
Cela représente mine de rien 2,1 millions d'utilisateurs, pour plus de 8 millions de visiteurs par mois, avec une moyenne d'âge de 35 ans, en accord avec le lecteur moyen de livres en France.
1.700 critiques quotidiennes
Si le plus gros de l'activité de Babelio est généré par ses utilisateurs, la plateforme n'en oublie pas sa partie éditoriale, faite, notamment, d'interviews d'auteurs et d'événements, comme le prix Babelio (qui a récompensé La Femme de ménage en 2024) qui a lieu chaque mois de juin. Les partenariats avec les maisons d'édition permettant aussi de proposer des livres à des lecteurs souhaitant découvrir des nouveautés.

"On a à la fois ce côté encyclopédique, avec 1.700 critiques quotidiennes sur tous les genres possibles, mais on a aussi à cœur d'isoler des tendances, des actualités, pour aider les lecteurs à s'y retrouver", précise-t-il.
Avec le succès de Booktok, qui regroupe des vidéos conseillant des livres sur Tiktok, Babelio n'a pas pour autant vu un regain d'intérêt pour la pratique, voyant davantage la tendance comme une mode, sans pour autant la regarder avec dédain: "Babelio a toujours eu un intérêt pour nos visiteurs qui ne s'est jamais démenti. Notre ambition, c'est d'être dans le paysage comme un Wikipedia, mais on en a vu passer des tendances. Aujourd'hui, c'est Booktok, mais il y a cinq ans, c'était Instabook (sur Instagram), avant les blogs…"
Babelio veut être la plateforme "du temps long", sur laquelle on va donc se rendre régulièrement. D'autant qu'elle n'a pas la même finalité qu'un réseau social classique: ici, il s'agit de classer ses livres, y apporter un regard critique ou s'informer sur l'actualité littéraire. Les avis d'autres utilisateurs, que l'on peut aussi trouver sur Tiktok ou Instagram, sont donc un plus, avec toutefois l'intérêt d'être moins codifiés, puisque disponibles à l'écrit.
Un élément qui a mis beaucoup de temps à être accepté par la profession. À ses débuts, Babelio doit en effet convaincre du bien fondé de sa démarche auprès des maisons d'édition: "Ça a été très long," se souvient Guillaume Teisseire, "les maisons d'édition voyaient les lecteurs comme quelque chose de lointain, car le client était avant tout le libraire".
Des maisons d'édition "conscientes" du bouche à oreille
Un milieu conservateur qui a pris son temps, mais qui a finalement changé d'avis au fur et à mesure des années, notamment grâce aux genres très différents qui sont désormais chroniqués par les utilisateurs, notamment les mangas, ou la romance, dont raffole les adolescents et les jeunes adultes.
"Les éditeurs sont désormais bien conscients de la valeur du bouche à oreille", explique-t-il.
Mais quel impact a Babelio sur la vente de livres? Grâce à sa base d'utilisateurs importante, la plateforme se targue d'être un bon moyen de connaître les tendances du moment. La romance ou la dark romance ont ainsi pris une place considérable sur le réseau social, en même temps que le succès de ces livres en librairie.

"On est convaincu d'avoir un impact sur les ventes, même si ce n'est pas forcément évident car le public préfère acheter en librairie traditionnelle, mais sur la Fnac et Amazon, via les liens commerciaux présents sur les fiches, on est le premier apporteur d'affaires en vente de livre, il y a donc une vraie prescription grâce à Babelio," précise Guillaume Teisseire.
Des critiques constructives avant les trolls
Mais si les réseaux sociaux sont connus pour être pourvoyeur de débats et de polémiques, Babelio reste en dehors des tendances de "trolling", consistant à critiquer une œuvre pour les thématiques qu'elle couvre ou en raison de son auteur.
La plateforme s'est certes constituée une équipe de modération en interne, mais elle n'a pas pour autant vu venir de phénomène négatif, car selon son cofondateur, le milieu de la littérature ouvre la voie à des critiques constructives: "Quand on a une communauté à 75% féminine, il y a peut-être moins de biais, et il y a aussi moins le plaisir du jeu de massacre, car nos utilisateurs viennent d'abord parler des livres qu'ils ont aimé. Et pour ceux qu'ils n'ont pas aimé, ils l'expliquent de manière argumentée."
La partie dédiée aux livres politiques reste toutefois dans le viseur de la modération avec des fans ou, au contraire, des opposants, qui tentent d'influer sur la place d'une œuvre sur Babelio.
De bibliothèque virtuelle à ses débuts, à réseau social complet, Babelio a donc organisé sa mue au gré d'un besoin de lecteurs, celui de se sortir d'un monde littéraire loin d'être aussi ouverts d'esprits qu'eux: "Sur des thématiques fortes, comme le harcèlement scolaire, on aura sans doute moins de conseils en librairie et donc on se dirigera plutôt vers Babelio".