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"Éloigner" les harceleurs des réseaux sociaux: pourquoi la promesse d’Emmanuel Macron sera difficile à tenir

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Réagissant aux agressions de Viry-Chatillon et Montpellier, Emmanuel Macron a évoqué le bannissement des réseaux sociaux en cas de cyberharcèlement. Mais la mesure reste très théorique.

En quelques jours, deux agressions particulièrement violentes, visant des adolescents, ont été recensées, à Montpellier puis à Viry-Chatillon. A chaque fois, la scène s'est déroulée à proximité de leur établissement scolaire, avec en parallèle de potentiels faits de cyberharcèlement. Réagissant à la situation ce 5 avril dans une école parisienne, le président Emmanuel Macron est revenu sur le rôle des réseaux sociaux dans ce type de situations.

Face aux problématiques récurrentes de cyberharcèlement, le gouvernement porte depuis plusieurs mois une mesure permettant à un juge de prononcer un bannissement des réseaux sociaux, pour toute personne (mineure ou majeure) coupable de harcèlement. Un bannissement de six mois, qui peut être porté à un an en cas de récidive.

"Responsabilisation des plateformes"

Ce projet de loi visant à "sécuriser l'espace numérique" devrait être adopté définitivement par l'Assemblée nationale ce 10 avril 2024.

"Le texte de loi va permettre des sanctions pour éloigner des réseaux sociaux les jeunes ou moins jeunes qui pratiquent ce cyberharcèlement" s'est alors félicité Emmanuel Macron.

Dans la foulée, le président a mentionné "la responsabilisation des plateformes" dans ce processus. Un appel du pied loin d'être anodin, dans la mesure où le texte a récemment été modifié, retirant toute obligation aux réseaux sociaux d'empêcher un internaute banni par la justice d'accéder à leurs services.

Pour comprendre cette évolution, il faut revenir sur l'aspect technique de la mesure. Faute de vérification d'identité lors de l'inscription à Tiktok, Facebook, Instagram ou Twitter, les réseaux sociaux n'ont que des moyens limités pour identifier un internaute. Dès lors, se pose la question: comment empêcher un internaute banni de réseau social par un juge de se créer un nouveau compte, sous un faux nom?

Sur le papier, certaines données techniques, comme l'adresse IP ou le numéro de série d'un smartphone, peuvent permettre de repérer un internaute banni, qui tenterait de faire discrètement son retour. Mais avec une précision toutefois limitée.

“Ça aurait pu fonctionner au temps du Minitel. A l’heure d’internet, ce n’est plus le cas" estimait Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique, auprès de Tech&Co, début 2023.

L'UE refuse toute surveillance généralisée

Sauf que depuis cet automne, les possibilités se sont encore considérablement limitées pour les autorités françaises. Dans un courrier adressé au gouvernement le 25 octobre 2023, la Commission européenne a rappelé que la régulation des géants du numérique était réservée à l'Union européenne.

Autrement dit: la France n'a pas le droit de faire porter de nouvelles obligations sur les réseaux sociaux, comme le fait de leur imposer de contrôler l'intégralité des comptes créés pour vérifier si parmi eux ne se cache pas un individu banni par la justice. Des "obligations générales de surveillances" interdites par l'UE, qui devaient donc être supprimées du texte.

Dans la dernière version du texte, l'article 5 prévoit toujours d'imposer aux réseaux sociaux de bloquer un compte désigné par la justice. Mais désormais, il n'existe plus aucune obligation pour les plateformes de vérifier qu'un nouveau membre s'inscrivant à un réseau social a bien le droit de le faire.

En cas de bannissement des réseaux sociaux, les plateformes "procèdent au blocage des comptes faisant l’objet d’une suspension et peuvent mettre en œuvre [...] des mesures strictement nécessaires et proportionnées permettant de procéder au blocage des autres comptes d’accès à leur service éventuellement détenus par la personne condamnée et d’empêcher la création de nouveaux comptes par la même personne" précise ainsi le projet de loi.

Si le texte venait à être adopté et validé par le Conseil constitutionnel, Tiktok, Facebook ou Twitter seraient donc libres de contrôler chaque nouvel internaute pour tenter de repérer d'éventuels harceleurs bannis des réseaux sociaux par la justice. Mais ils seraient tout aussi libres de ne jamais le faire.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co