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Contenus illégaux, liens avec la Russie... Pourquoi l'appli Telegram est aussi sulfureuse

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Si Telegram est régulièrement comparée à d'autres applications de messagerie comme Whatsapp ou Messenger, l'application a une histoire bien plus complexe.

C'est une interpellation qui fait beaucoup de bruit. Arrêté en France ce samedi 24 août, Pavel Durov, le patron de Telegram, est toujours détenu par les autorités françaises ce lundi 26 août.

Les raisons de cette arrestation semblent liées à des activités illégales sur la plateforme. Car Telegram représente davantage qu'une simple application de messagerie, comme peut l'être Whatsapp, filiale de Facebook. En une décennie, Telegram s'est en effet imposé comme un canal d'information crucial, tout en étant accusé d'entretenir des liens discrets avec la Russie.

Une application historiquement politique

L'histoire de Pavel Durov, créateur de Telegram, pourrait être celle d'un Mark Zuckerberg transformé en Elon Musk. En 2006, face au succès de Facebook aux États-Unis, il crée VKontakte, un réseau social qui en reprend les grandes lignes, et qui devient l'une des principales plateformes en Russie. Mais dès 2011, il communique sur son refus de censurer des publications, à la demande des autorités russes. S'engage alors un bras de fer qui le poussera à quitter l'entreprise, puis à fuir le pays en 2014.

C'est dans ce contexte qu'il crée l'application Telegram, avec son frère Nikolaï, informaticien et cryptologue. Une application de messagerie fréquemment présentée comme sûre et hermétique à toute tentative de modération de la part des États, en dépit des lois locales. Un prétendu havre de liberté d'expression absolue, qui n'est pas sans rappeler la récente volonté d'Elon Musk pour Twitter.

Un réseau social qui ne dit pas son nom

Souvent présentée comme une application de messagerie chiffrée -comme Whatsapp ou Signal- Telegram ne propose en réalité aucun chiffrement de bout en bout par défaut. Les utilisateurs doivent en fait se rendre dans les paramètres pour activer le chiffrement de leurs conversations.

Mais au fil des années, Telegram, qui s'approche désormais du milliard d'utilisateurs, est avant tout devenu un canal d'information, grâce aux chaînes, dont le fonctionnement pourrait être comparé à une page Twitter. Les utilisateurs peuvent ainsi s'abonner à des chaînes de médias ou de n'importe quel compte pour voir s'afficher leurs publications. Une option si populaire qu'elle a récemment été imitée par Whatsapp.

"Telegram n'est pas une messagerie chiffrée de bout en bout comme Signal ou Whatsapp. C'est un réseau social qui est essentiellement public, proposant aussi des messages privés avec une option plutôt douteuse de chiffrement que la plupart des gens n'utilisent pas", résume ainsi Eva Galperin, en charge de la cybersécurité à l'Electronic Frontier Foundation, une ONG dédiée à la protection de la vie privée et de la liberté d'expression sur le web.

Une modération très critiquée

Si la modération des réseaux sociaux est un sujet récurrent, Telegram fait souvent figure de pire élève en la matière. Malgré quelques suppressions de chaînes terroristes ou pédocriminelles, de façon pour le moins épisodique, la plateforme ne modère que très rarement des contenus pourtant illégaux aux yeux de la loi. On y a fréquemment retrouvé des contenus terroristes, des contenus haineux, négationnistes, complotistes, mais également de nombreux contenus à caractère pédocriminel.

Si les autres plateformes comme Facebook ou Twitter ne sont pas épargnées par la diffusion d'escroqueries ou de contenus haineux, elles ont au fil du temps intensifié leurs relations avec les forces de l'ordre des différents pays où elles opèrent. Ce qui n'est pas le cas de Telegram, régulièrement accusé de ne pas coopérer avec les autorités pour les aider à mettre la main sur les auteurs de crimes et délits. En 2022, l'Allemagne menaçait ainsi d'interdire l'application dans le pays.

Soupçons de liens avec la Russie

À la différence d'applications comme Whatsapp ou Messenger, dont la visée est avant tout commerciale, Telegram est une application hautement sensible, y compris en matière de géopolitique. Car en dépit de ses prises de distance avec la Russie, Pavel Durov est accusé d'entretenir de discrètes relations avec le Kremlin. Au cours des dernières années, l'application aurait ainsi été financée par des proches de Vladimir Poutine. Elle fait aussi l'objet de spéculations après que des opposants politiques ont vu leurs conversations Telegram, censées être chiffrées, pourtant épiées par les autorités russes.

Après avoir été interdite en Russie pendant plusieurs années, Telegram a ainsi été de nouveau autorisée dans le pays en 2020, où elle est devenue un maillon essentiel du web local depuis l'interdiction des plateformes occidentales comme Facebook, Twitter ou Instagram.

Comme l'explique le géopolitologue Kevin Limonier, Telegram est aussi devenu le principal outil de communication des forces militaires russes sur le terrain, depuis l'invasion en Ukraine, mais également l'un des principaux vecteurs de communication pour le pouvoir russe. Avec Pavel Durov, "la France détient là un personnage d'une ampleur géopolitique rare", conclut-il.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co