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Données personnelles

Avez-vous le droit de filmer dans la rue avec les lunettes connectées Meta Ray-Ban?

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La Cnil instruit une première plainte liée à ces lunettes connectées, équipées d'une caméra. Le sujet est encore loin d'être tranché.

Avec la hausse des ventes des lunettes connectées de Ray-Ban et Meta (maison-mère de Facebook et Instagram), les Français pourraient parfois se sentir épiés en croisant l'un de leurs utilisateurs dans la rue. Cet appareil permet en effet de filmer tout ce qu'il passe devant ses yeux, et de diffuser la vidéo en direct sur les réseaux sociaux. Auprès de Tech&Co, la Cnil a annoncé instruire une première plainte sur cet épineux sujet.

Mais concrètement, que peuvent vraiment faire les utilisateurs des lunettes Meta Ray-Ban, vendues 360 euros? Sur son site, la maison-mère de Facebook et Instagram met notamment en avant une fonction de retransmission en direct de tout ce qui est filmé par les lunettes sur les deux réseaux sociaux.

Un utilisateur des Meta Ray-Ban se baladant dans une rue française et souhaitant partager ce moment risquerait donc, au passage, de filmer des dizaines de passants, qui n'ont pourtant pas donné le moindre accord pour que leur vie privée soit partagée à des milliers d'internautes. Et qui pourraient donc se retourner contre lui.

Les lunettes connectées Meta Ray-Ban
Les lunettes connectées Meta Ray-Ban © Meta

Consentement indispensable (et difficile)

Ces nouvelles pratiques ne sont pas ouvertement encadrées par la loi, que ce soit au niveau français ou européen. Et pour l'heure, en l'absence de jurisprudence claire, il est difficile de savoir comment les textes autour de la protection de la vie privée, mais aussi des données personnelles, pourraient être appliqués.

Pour Éric Barbry, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, il y a cependant une évidence: la question du consentement. Notamment lorsqu'un utilisateur diffuse en direct une vidéo capturée par les lunettes dans la rue.

"En théorie, il faudrait recueillir le consentement de chaque personne filmée, avant même de la filmer. Ce qui, dans la rue, et en direct, est techniquement bien difficile", estime-t-il, auprès de Tech&Co.

Avant de mentionner un autre cas encore plus épineux: la diffusion en direct d'images dans un cadre privé -par exemple dans la salle d'attente d'un cabinet médical, qui, sans consentement de l'ensemble des personnes filmées, relève du pénal.

"En l’absence de disposition légale explicite, la fonction des lunettes Meta n’est pas interdite par principe. Mais cela ne veut pas dire pour autant que la diffusion n’est pas soumise à conditions, il peut y avoir des restrictions", analyse de son côté Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique, auprès de Tech&Co.

Usage domestique

Si la fonction de diffusion en direct des Meta Ray-Ban est problématique, les lunettes connectées permettent également d'enregistrer de simples vidéos, comme pourrait le faire un smartphone. Un usage plus classique, qui pourrait s'apparenter à celui d'un simple smartphone.

Dans un document récapitulant des "lignes directrices sur le traitement des données à caractère personnel par des dispositifs vidéo", publié en 2020, le Comité européen de la protection des données (CEPD, équivalent de la Cnil au niveau européen), rappelle que le RGPD, règlement sur les données personnelles, ne s'applique pas aux usages domestiques.

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Par exemple un touriste qui enregistrerait "des vidéos à la fois sur son téléphone portable et sur un caméscope pour documenter ses vacances" et qui montrerait "les images à ses amis et à sa famille" mais sans les rendre "accessibles à un nombre indéterminé de personnes", explique le CEPD.

Avec une telle interprétation, l'utilisation des Meta Ray-Ban pour filmer des tiers, sans toutefois que les vidéos ne soient largement diffusées par la suite, pourrait être légale. À condition que cette captation ne soit pas suivie d'une diffusion large -en direct ou en différé, par exemple sur un compte Instagram ouvert à tous.

Quelle responsabilité pour Meta?

En l'absence de cadre légal, de jurisprudence, ou même de recommandations de la Cnil, Meta joue la sécurité, en faisant logiquement porter la responsabilité de son produit sur ses clients. Sur son site, l'entreprise a ainsi publié "quelques conseils destinés à vous et à vos proches pour utiliser vos lunettes en toute sérénité".

"Cessez l’enregistrement si une personne préfère ne pas être filmée" recommande notamment Meta.

Une formulation qui sous-entend de fait que ses lunettes seront bien difficiles à utiliser pour filmer la visite d'une ville en direct.

Bien consciente des risques pénaux liés au fait de filmer un lieu privé sans consentement, Meta recommande par ailleurs d'éviter d'utiliser la caméra de ses lunettes "dans des lieux sensibles, par exemple dans un cabinet médical, des vestiaires, des toilettes publiques, une école ou un lieu de culte".

Les lunettes connectées Meta Ray-Ban
Les lunettes connectées Meta Ray-Ban © Meta

Meta revient également sur la lumière LED, qui s'allume dès lors que la caméra des lunettes est en fonctionnement. L'entreprise précise qu'il incombe à l'utilisateur d'expliquer aux personnes filmées la signification de cette lumière LED. Ce qui reviendrait par exemple à préciser ce fonctionnement à chaque personne croisée dans la rue.

"Le voyant lumineux c'est une blague, tant que ce n'est pas connu de tout le monde", juge ainsi Eric Barbry, qui se demande si la responsabilité de Meta ne peut pas être mise en cause.

"Quand on vend un outil en sachant qu'il est massivement utilisé de manière illicite, la question se pose" estime-t-il.

Si cette question s'était également posée il y a une décennie avec les Google Glass, finalement abandonnées, le régulateur et les autorités publiques risquent de devoir l'aborder plus frontalement: en septembre 2024, le groupe Essilorluxottica (propriétaire de la marque Ray-Ban) a annoncé un nouvel accord "de long-terme" avec Meta "pour développer plusieurs générations de lunettes intelligentes".

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co