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Cybersécurité

Birmanie: l’explosion de la cyberfraude est dopée par le réseau Starlink d’Elon Musk

Autour de Myawaddy, à la frontière thaïlandaise, la construction de vastes complexes fortifiés se poursuit sans répit. Ces mini-villes ceintes de barbelés, surveillées par des hommes armés, continuent de s’étendre, comme le montrent des images satellites et des prises de vue par drone réalisées par l’AFP.

Autour de Myawaddy, à la frontière thaïlandaise, la construction de vastes complexes fortifiés se poursuit sans répit. Ces mini-villes ceintes de barbelés, surveillées par des hommes armés, continuent de s’étendre, comme le montrent des images satellites et des prises de vue par drone réalisées par l’AFP. - LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP

La cyberfraude explose en Birmanie malgré les récentes opérations de démantèlement. Selon une enquête de l’AFP, les centres d'arnaques en ligne, souvent protégés par des milices birmanes alliées à la junte, utilisent massivement le service d'accès à internet par satellite, Starlink, d’Elon Musk.

Quelques mois après une vaste opération de répression, les centres d’arnaque ont repris leur expansion en Birmanie, souvent protégés par des milices alliées à la junte locale. Au cœur d’une enquête de l’AFP, ces sites sont accusés d’avoir extorqué des milliards de dollars à des victimes du monde entier, grâce à des méthodes brutales, allant du travail forcé à la traite d’êtres humains.

Plus de 7.000 personnes, majoritairement chinoises, ont été libérées lors d'opérations de police, tandis que la cyberfraude continue de cibler des victimes à l’international, notamment via les réseaux sociaux.​

Paradoxalement, l’expansion des centres s’est accélérée dès mars, avec la reprise des chantiers sur les sites frontaliers tels que "KK Park". Des dizaines de nouveaux bâtiments et infrastructures ont été édifiés en quelques mois, comme l’a révélé l’analyse d’images satellites et des prises de vues par drones. Cette reconstruction massive s'accompagne de nouveaux points de passage fluviaux entre la Birmanie et la Thaïlande, renforçant la logistique et l’approvisionnement des complexes d’arnaques.​

Starlink au coeur des opérations

Un élément clé de cette résurgence est l’arrivée de Starlink, l’entreprise d’Elon Musk, devenue depuis juin l’un des principaux fournisseurs d’accès à Internet en Birmanie selon le registre APNIC. Des rangées d’antennes Starlink visibles sur les toits facilitent le fonctionnement des réseaux de cyberfraude, qui s’appuient désormais sur un accès Internet rapide et fiable pour opérer à l’échelle internationale. Les centres d’arnaque birmans exploitent ainsi les technologies satellitaires pour accentuer leur portée et leur efficacité.​

La poussée d'un village de l'arnaque au Myanmar (ex-Birmanie)
La poussée d'un village de l'arnaque au Myanmar (ex-Birmanie) © ONUDC

Les autorités américaines, par ailleurs, ont ouvert une enquête sur Starlink à partir de juillet, motivées par la multiplication des escroqueries visant surtout des citoyens américains, avec des pertes estimées à 10 milliards de dollars en 2024.

La sénatrice Maggie Hassan et plusieurs experts en cybercriminalité appellent Elon Musk à bloquer l’accès à Starlink dans ces complexes, craignant que ce service favorise le travail forcé et la criminalité organisée. Malgré ces appels, Starlink n’a pas répondu publiquement aux sollicitations.​

Un réseau d'escroqueries mondiale

Au-delà de Starlink, l’AFP a identifié des travaux et des développements dans la plupart des 26 centres recensés autour de Myawaddy par le groupe ASPI. Ce phénomène est mondial: les Nations unies estiment qu’en 2023, plus de 120.000 personnes étaient contraintes de commettre des escroqueries en ligne dans les centres de la région, dont beaucoup en Birmanie et au Cambodge.​

Ces complexes, souvent entourés de murs et barbelés, sont situés surtout près de la frontière avec la Thaïlande, sur des terrains autrefois occupés par des casinos chinois. Les victimes, recrutées par de fausses annonces d’emploi, sont contraintes à des arnaques massives, notamment via les réseaux sociaux, dans un système organisé et brutal.

Raphaël Raffray avec AFP