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Comment, entre esclavage et violence, les centres d’escroqueries amoureuses du Myanmar sont devenus une machine à cash pour le crime organisé

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Depuis plusieurs années, le Myanmar est devenu l'une des plaques tournantes de l'escroquerie en ligne, grâce à des centres d'appels, où sont retenues des personnes réduites en esclavage et soumises à une violence quotidienne.

Dénoncés depuis plusieurs années par de nombreuses organisations des droits de l'homme, les centres d'appel dédiés aux escroqueries amoureuses de Myanmar ne semblent toujours pas près de disparaître, malgré une opération de police musclée pour les mettre à bas en février dernier. Au contraire, leur nombre a explosé en l'espace de quelques mois, comme le révèle une enquête du Nikkei.

Grâce au témoignage d'un homme d'Asie du Sud ayant été détenu pendant six mois au KK Park, l'un des plus grands centres du pays, on découvre l'ampleur du phénomène, fait de violences, de travail à la chaîne, et d'escroqueries amoureuses où tous les coups sont permis afin de faire payer les victimes.

Des complexes fortifiés nés sur les vestiges de casinos chinois

Salle de torture, humiliations régulières, mais aussi coup de chaussures sur la tête, la violence est quotidienne dans ces centres où les personnes réduites en esclavage travaillent jusqu'à 16 heures par jour.

Grâce à des images satellite, le quotidien Nikkei a découvert que de nouveaux complexes criminels ont été construits le long de la frontière entre le Myanmar et la Thaïlande. Les autorités des deux pays tentent depuis de longs mois d'endiguer le phénomène, sans succès jusqu'ici. Le long de la frontière, il y a au moins 16 sites, avec comme point commun d'occuper une place particulièrement importante.

Le problème n'existait pourtant pas jusqu'à l'arrivée du Covid-19. A l'époque, ces résidences, conçues en partenariat avec la Chine, sont en fait des casinos. Mais après la pandémie, la crise économique a fait se reconvertir bon nombre d'entre eux en spécialistes de la fraude en ligne.

Pour trouver ceux qui vont travailler dans ces centres, leurs responsables font passer des petites annonces, promettant monts et merveilles. De nombreux pays asiatiques voient certains de leurs ressortissants disparaître après avoir tenté de trouver du travail.

Empêcher les personnes de sortir

En mai 2025, la police avait pu retrouver un acteur chinois, Xu Bochum, qui avait été capturé par un réseau de trafiquants alors qu'il pensait répondre à une annonce de casting. L'affaire avait fait les gros titres en Chine, poussant son président, Xi Jinping, à prendre le problème au sérieux, mettant la pression sur le Myanmar et la Thaïlande.

Le modèle est toujours le même: "On avait chacun quatre iPhone sur lesquels on devait gérer 20 comptes Instagram afin d'arnaquer les gens avec de faux investissements dans les cryptomonnaies," avait expliqué Xu Bochum, à Franceinfo, "quasiment sans pauses, de 10h du matin jusqu'à 2h du matin."

Ce que révèle l'enquête du Nikkei, c'est que chacun de ces centres possède trois caractéristiques précises, laissant penser qu'il s'agit de prisons. La première est la plus parlante: des murs ou barbelés, qui entourent les propriétés, avec des tours de guet pour suivre les captifs de près.

Un complexe d'escroquerie en ligne et ses différents dispositifs sécuritaires
Un complexe d'escroquerie en ligne et ses différents dispositifs sécuritaires © Nikkei/Planet Labs

La seconde consiste en des bâtiments pouvant accueillir un très grand nombre de personnes qui n'ont pas besoin de sortir: les équipements présents sur place sont faits pour contrôler la population et les allées et venues.

Enfin, la troisième caractéristique est géographique: chaque centre borde une grande rivière, avec des bâteaux qui peuvent traverser la frontière avec la Thaïlande pour ramener de nouveaux esclaves.

Les autorités impuissantes face au phénomène

Ces centres d'appels, dont l'arnaque principale est de faire croire à une victime occidentale qu'elle est en contact avec une personne amoureuse d'elle, pour qu'elle puisse envoyer de l'argent via un système de fraude aux cryptomonnaies, pullulent depuis au moins 2021, date de début de la guerre civile à Myanmar. Alors que le gouvernement militaire, issu d'un coup d'Etat, est trop occupé à faire taire ses opposants, les criminels continuent leur trafic sans être véritablement inquiétés.

La sécurité de ces centres est d'ailleurs la plupart du temps l'apanage de groupes armés, qui contrôlent aussi une partie de la région, révèle le Nikkei.

Les escroqueries liées à ces lieux représenteraient jusqu'à 37 milliards de dollars de perte rien qu'en Asie de l'Est et du Sud-Est, avait révélé l'ONU. Un phénomène qui dépasse largement celui de la drogue: "C'est l'une des opérations les plus lucratives menées par des organisations criminelles mondiales," explique Trairong Phiwphan, du bureau d'enquête sur la cybercriminialité au quotidien japonais.

Les principaux complexes d'escroquerie en ligne en Asie du Sud-Est
Les principaux complexes d'escroquerie en ligne en Asie du Sud-Est © Nikkei/ONUDC

Afin que cessent ces agissements, la seule solution serait une coopération internationale accrue, écrit le Nikkei. Car la répression des autorités montrent que les centres continuent de grandir, entraînant un accroissement du potentiel de nuisance des opérations. Aujourd'hui, on compte également des centres au Laos et au Cambodge.

Sylvain Trinel