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Interview

Déclin de la construction de logements: les promoteurs alertent sur un risque de "crise majeure"

Le patron de la Fédération des promoteurs immobiliers liste plusieurs solutions qui pourraient permettre d'augmenter le nombre de logements construits en France.

Les chiffres de la construction de logements en France sont en déclin depuis 20 ans, malgré un léger rebond en fin de quinquennat pour Macron. Ils n'ont d'ailleurs jamais atteint l'objectif de 500.000 constructions par an pourtant nécessaires face à une population en croissance. Conséquence, les prix immobiliers augmentent partout, dans le neuf comme dans l'ancien. Les contraintes réglementaires pèsent sur la production de logements et maintiennent le marché sous tension.

Le rapport de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement indique même une aggravation de la situation et tire la sonnette d'alarme sur ce qui pourrait devenir une véritable bombe sociale. Face à ce constat, Pascal Boulanger, Président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) répond aux questions de BFM Immo afin d'apporter un éclairage sur la crise du logement et surtout des solutions pour éviter une crise majeure.

BFM Immo: la fondation Abbé Pierre a dressé un bilan au vitriol du quinquennat sur la construction de logements, quelle est votre réaction ?

Pascal Boulanger: Le logement neuf vit une crise structurelle qui engendre une grave pénurie d’offre aux lourdes conséquences pour les nouvelles générations. Le logement sera, l’enjeu de société du prochain quinquennat. Si nous ne nous donnons pas les moyens, collectivement, de relever le défi de construire suffisamment, en plus de la rénovation du parc existant, pour répondre aux besoins de nos concitoyens, nous serons prochainement confrontés à une crise majeure.

"La France doit prendre très au sérieux cette crise entretenue par les pouvoirs publics avec le refus de construire de certains maires, l'exclusion d’une partie des logements anciens du marché de la location (les logements énergivores classés de G à E ne pourront progressivement plus être loués, Ndlr) ou encore le décret d’application de zéro artificialisation nette du sol mal conçu et non-opérationnel".

De plus, cette crise est accentuée par le rejet d’une partie de la population, bien logée, qui refuse que l’on construise à côté de chez elle. Ainsi, seule une politique volontariste et pédagogue de relance raisonnée de la construction neuve permettra d’éviter la chronique d’une crise annoncée de type "gilet jaune".

Le niveau de construction de logements collectifs est à un niveau extrêmement bas loin des 500.000 logements annuels qui seraient nécessaires pour satisfaire la demande. Les besoins de logement sont alimentés par les tendances démographiques et sociologiques (décohabitations, réduction de la taille des ménages, vieillissement de la population…). Et la demande va se trouver accentuée par la disparition programmée d'environ 600.000 logements anciens exclus du marché de la location, car trop énergivores.

Nous vivons un nouveau paradoxe: alors que la crise s’installe durablement, nous assistons parallèlement à un empilement de contraintes administratives et à une surenchère normative, alors même que nos logements neufs sont déjà les plus performants d’Europe, la réglementation environnementale 2020 (RE2020): en la matière, le mieux est l’ennemi du bien car tout cela à un coût et nous redoutons une désolvabilisation de nos acquéreurs.

BFM Immo: Qu'est-ce qui explique que l'on construit moins depuis des années ?

Nous constatons une accentuation du phénomène "not in my back yard/pas dans mon jardin" et le rejet des grues par les habitants. L’objectif défini par les institutions européennes de zéro artificialisation nette (ZAN) à l’échéance 2050 et la nécessaire obligation de construire plus pour répondre aux besoins ne peut se résoudre qu’au prix d’une production renforcée de foncier "vertueux" et/ou d’une densité acceptée par tous, et notamment des habitants.

Or, le "malthusianisme" dont font preuve de plus en plus de collectivités locales (objectifs de constructibilité des PLU non atteints, affichage de la volonté de réduire le niveau de production de logements) rend encore plus difficile l’acte de construire. On assiste en conséquence à une hausse continue des prix des logements qui exclut petit à petit les classes moyennes de l’accession à la propriété.

Bon à savoir :

Selon l'indice des notaires et de l'Insee, la hausse des prix de l'immobilier en France depuis 2002 a atteint 111% à comparer avec une inflation en progression de de 31% sur la même période.

BFM Immo: Comment pourrait-on régler ce problème pour offrir un toit à une population en croissance ?

La FPI souhaite agir sur tous les leviers possibles, de l’amont avec le foncier à l’aval avec les acquéreurs, afin de retrouver un niveau de production de logements répondant aux besoins identifiés et éviter ainsi la crise du logement qui se profile.

Pour cela, la FPI préconise d’agir concomitamment sur les leviers suivants :

  1. Faire émerger du foncier (public et privé) constructible (déjà artificialisé)
  2. Redonner le goût de construire des logements aux élus en les y incitant si nécessaire
  3. Libérer l’acte de construire
  4. Resolvabiliser les ménages accédants
  5. Encourager l’investissement locatif
  6. Accompagner le développement des villes moyennes/territoires d’avenir

BFM Immo: le rôle des maires dans les chutes de permis de construire, la rareté du foncier... faut-il revoir les règles, construire plus haut par exemple, pour contenir le mal-logement et les prix immobiliers ?

Au niveau local comme au niveau national, l’inflation réglementaire et normative est un premier frein à l’efficacité : RE 2020, Pinel +, voire les douches à l’italienne sans ressaut arbitrées au plus haut sommet de l’Etat… Le sport national de la norme est malheureusement partagé par tous nos représentants politiques, certes avec des intentions vertueuses, mais au détriment de la production de logements.

Il semble dès lors urgent d’instaurer un moratoire, pendant au moins deux ans, sur la production des normes pour permettre aux professionnels et à l’ensemble de la filière de s’adapter aux évolutions récentes et d’être protégés, pendant ces deux ans, de la volatilité de la norme.

Concernant le rôle des maires, il est absolument nécessaire que l’Etat accompagne les maires bâtisseurs en mobilisant les leviers de la fiscalité locale et en renforçant les dotations budgétaires nécessaires à l’accueil de nouveaux habitants sur leur territoire. Plusieurs pistes ont été évoquées dans le rapport Rebsamen. En contrepartie, il faut imposer aux maires de mobiliser l’entièreté de la constructibilité des PLU et lier le respect de celle-ci à l’application du ZAN. Et pourquoi ne pas prévoir par la loi, la mise en œuvre d’une densité minimale qui s’imposerait aux PLU?

Lorsque des blocages locaux existent et que les maires, pour diverses raisons (idéologiques ou refus des habitants de voir des grues), refusent toute construction nouvelle alors que les besoins existent, nous proposons de faire jouer au niveau du préfet le rôle de médiateur de l’acte de construire (sur le modèle du médiateur des entreprises): ce dernier interviendrait lors de litiges concernant la délivrance ou le refus de permis de construire. Cette médiation ne suspendrait ni n’interromprait le délai de recours. Le principe du "name and shame" s’appliquerait aux collectivités les plus récalcitrantes à l’acte de construire.

Marion Marten-Pérolin