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Quand la facture de chauffage coûte presqu'aussi cher que des vacances à prix cassés

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Réduire sa facture de chauffage en s'offrant trois semaines de vacances sur la Riviera turque pour 599 euros... Ce bon coup marketing de Lidl a suscité un certain émoi tant en Allemagne qu'en Turquie.

Et si certains Européens partaient en voyage au soleil cet hiver au lieu de rester chez eux à payer des factures astronomiques de chauffage? C'est une promotion de Lidl - un coup de marketing retentissant - qui a lancé le débat en Allemagne.

Outre-Rhin, le premier groupe allemand de discount propose dans son catalogue, via un prestataire spécialisé, un forfait de 22 jours sur la Riviera turque, en janvier prochain, dans un hôtel classé 5 étoiles. 599 euros tout compris en chambre double, transferts et blanchisserie inclus. L’offre précise "massage du dos et soins du visage en option". Ce prix ultra-cassé suscite enthousiasme et irritation, à la fois.

Selon un porte-parole de Lidl, la demande a, dans les heures qui ont suivi la publication du catalogue, dépassé le quota fixé pour cette offre. Mais il restait des places pour un séjour identique en février, moyennant 50 euros de plus, sans que l'on ne dispose de davantage d’éléments.

"Voyager au lieu de se chauffer"

"Au vu de la hausse des prix de l’énergie en Allemagne, cela peut donner des ailes à l’idée de passer l’hiver dans un climat plus doux, 23° en moyenne", soulignait le journal économique allemand Handelsblatt.

Le quotidien local Rheinische Post s’est longuement penché sur la perspective de "voyager au lieu de se chauffer’", appelée à devenir "une tendance". Un cadre dirigeant de TUI Deutschland, opérateur de premier plan du secteur en Allemagne, estime que, certes, "les gens ne partent pas en vacances seulement pour économiser de l’énergie", toutefois s’ils récupèrent une partie des frais de voyage en réduisant leur facture de gaz à la maison, "cela augmente la motivation de certains à faire leurs valises". Divers experts sont sollicités dans l'évaluation de l’économie -potentielle- de chauffage, la fourchette pour un propriétaire se situe entre 200 et 400 euros.

Les Turcs disposent, en la matière, d’un avantage comparatif. Le chef de l’Etat Recep Tayyip Erdogan y voit même un levier décisif: "Contrairement à l’Europe, la Turquie n’aura pas de problèmes cet hiver." Ankara, qui n’a pas rejoint les sanctions occidentales contre la Russie, lui paie à présent ses achats de gaz en roubles et, le plus important, pour les volumes convenus. La Turquie va donc continuer de recevoir de l’énergie russe aussi normalement qu'auparavant.

Ce qui ne signifie pas, pour autant, qu’elle échappe à la flambée des cours. Le gouvernement a estimé, hier, à 8,2 milliards d'euros le montant des subventions publiques consenties au premier semestre afin de contenir la poussée des factures.

Incompréhension voire indignation

D’une certaine façon, cela représente aussi, quoique indirectement, un soutien au tourisme des étrangers, ce qui contribue à ce qu’en bout de chaîne Lidl puisse commercialiser un tel séjour à un prix aussi bas. Et de ce point de vue, cela peut susciter auprès des Turcs une forme d’incompréhension, voire d’indignation, que reflète tout à fait ce commentaire en ligne sous l’article d’un média en ligne d’Antalya:

"22 jours? 600 euros? Mes dépenses mensuelles sont presque de cela. Je ne comprends pas comment ces gars gagnent de l'argent. Ils l'ont vendu à perte".

Ce sentiment d'incompréhension se révèle d’autant plus vif que l’habitant d’Ankara ou d’Istanbul ne saurait accéder à un tel tarif sur la côte, quand bien même il se déplacerait avec son propre véhicule. Tout en se félicitant de la dynamique touristique impulsée, un éditorialiste du journal économique Dünya souligne qu’un retraité de son pays dont la pension équivaudrait à deux fois le salaire minimum ne peut prétendre à de telles vacances hivernales. Ce retraité va, de toute manière, être confronté à d’autres priorités budgétaires avec une inflation annuelle de 80%.

Mais en l’occurrence, il s’agit d’abord pour l’économie nationale de soutenir une balance extérieure qui se détériore, déficitaire en juillet de près de 6%. Les visiteurs allemands, plus exactement ceux qui paieront plus cher que ces clients promotionnels Lidl, vont permettre de combler un tant soit peu ce trou. Ils étaient 427.000 entre novembre et février derniers. D'après une première projection, ils pourraient être plus d'un million cet hiver.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international