L'ouverture en Malaisie d'une usine d'assemblage Porsche, un impact géoéconomique

Porsche entame son implantation asiatique par la Malaisie, là où il n'était pas attendu. Il y a cinq ans, en ouvrant une usine en Slovaquie, le constructeur intimement lié à Stuttgart, puis à Leipzig, avait rompu avec une tradition de près de quatre-vingt-dix années de production strictement nationale, proclamée jusqu’alors comme un facteur essentiel de différenciation avec le reste du luxe automobile allemand - même si une incursion en sous-traitance avait précédemment eu lieu en Finlande.
Mais sortir en 2022 de l’Union européenne représentera pour cette filiale du groupe Volkswagen une étape encore plus marquante de glissement, pour ne pas dire de banalisation dans la mondialisation industrielle. Le projet malaisien est présenté comme de taille modeste, répondant simplement aux besoins spécifiques d’un marché en essor, il s’y est vendu un peu plus de 400 voitures l’an dernier. Ne plus subir une surtaxation douanière aura contribué à lui faire franchir le pas. Le distributeur local, Sime Darby, affirme surtout que "chaque Porsche" assemblée dans la nouvelle usine "passera par les mêmes normes et processus rigoureux que ses équivalentes d'Europe".
Les traces de Mercedes
Detlev von Platen, le membre du directoire chargé des ventes et du marketing à Stuttgart, explique au journal de Kuala Lumpur The Star qu’au-delà, c’est l’Association des nations d'Asie du Sud-Est (Asean) qui est ciblée, un espace prenant une "importance croissante". En attendant, comme le relève le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, ce large marché régional n’atteint pas encore 1 % des ventes totales de la marque.
Porsche a ainsi fini par se résoudre à suivre les traces de Mercedes-Benz, qui fabrique de longue date en Malaisie, avec la justification centrale que d’ici à 2028 le pays aura rejoint le cercle des économies à revenus élevés, au sens de la Banque mondiale, même si, à court terme, les perspectives se révèlent maussades. D’après l’agence de notation financière Fitch, le produit intérieur brut va stagner en 2021 dans un contexte de crise pandémique mal maîtrisée. L'économiste Shankaran Nambiar, de l'Institut malaisien de recherche économique, redoute y compris l’écroulement d'un modèle de croissance trop dépendant de l'investissement direct étranger, "prêtant peu d'attention aux fondements sous-jacents de l'économie".
Alors, il faut aussi prendre en compte le pôle central que forme la Chine, devenu en 2015 le premier marché de Porsche. Pas d'usine en vue, mais le constructeur a quand même annoncé l’installation d’un site de recherche-développement à Shanghai, une structure très légère en soulignant qu’il s’agit de "comprendre les demandes très spécifiques" de la clientèle chinoise. La marque a déjà fait valoir que son argument de "la qualité supérieure européenne" y tient toujours, ce qui vaudrait encore de ne pas assembler ses voitures sur le sol chinois.
"Vision allemande de l'Indo-Pacifique"
Une volonté transparaît, toutefois, de repousser le moment d’être pris dans l’immense engrenage de production chinoise. Cette distance maintenue par Porsche devient aussi révélatrice d’une approche nouvelle de l’Allemagne: orienter de l’implantation industrielle vers le sud-est asiatique plutôt qu’en Chine. La firme allemande se garde, d'évidence, d’évoquer de telles considérations. Mais d’autres avant elle ont franchi ce pas dans l'argumentation, en particulier le groupe d'ingénierie Siemens, dont le dirigeant Joe Kaeser est considéré comme "le PDG politique de l’Allemagne", titre officieux qu'avance l'analyste allemand basé à Singapour, Frederick Kliem.
En octobre 2020, il s’est joint à la chancelière Angela Merkel et à son ministre de l’Economie, Peter Altmaier, afin d'inciter les entreprises allemandes, dans leurs investissements, à regarder en périphérie de la Chine. Cette prise de position a suivi de près la publication à Berlin du premier livre blanc gouvernemental sur la zone indopacifique. Selon Shankaran Nambiar, la "vision allemande de l'Indo-Pacifique" qui y est développée repose sur "la même conception du multilatéralisme" que celle de l’Asean, quitte à s’assimiler à un outil d’endiguement de la puissance chinoise. En commençant par choisir la Malaisie au lieu de la Chine, Porsche, peu ou prou, contribue à la mise en œuvre de cette "vision" d’ordre plus géopolitique qu’industriel.