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Face au retrait américain d'Afghanistan, la Chine se prépare à une victoire des Talibans

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La Chine observe de très près le retrait accéléré des soldats américains de l'Afghanistan. Pékin entend prévenir le chaos à sa frontière, y compris en envisageant de coopérer avec les Talibans.

L’armée des Etats-Unis s’est éclipsée de nuit, en coupant l’électricité, sans prévenir le nouveau commandement afghan de la base aérienne de Bagram. Le Pentagone a confirmé les modalités du départ, en fin de semaine dernière, de ce complexe qui durant vingt ans a constitué, à 50 kilomètres au nord de la capitale Kaboul, le centre névralgique de l’intervention de l’Alliance atlantique en Afghanistan. Cette extrême discrétion au moment de partir, d’après Washington, obéit à des motifs de sécurité des opérations et non à un défaut de confiance vis-à-vis des autorités afghanes.

Il s’en est aussitôt suivi un pillage des lieux. Un soldat afghan a raconté à l'agence de presse Associated Press comment les bâtiments ont été saccagés, avec un défilé de camions où tout ce qui pouvait être emporté l’a été. La conséquence stratégique de ce retrait exprès, c’est que les forces gouvernementales afghanes perdent soudain l’essentiel d’un atout militaire décisif, celui la supériorité qu'offre le soutien aérien américain.

Hier, les combattants talibans ont lancé leur première offensive contre une capitale provinciale, Qala-i-Naw, une ville d'environ 75 000 habitants au nord-ouest du pays. Le ministre afghan de la Défense, Bismillah Mohammadi, admet une situation "très délicate", même si les forces de sécurité ont, affirment-elles, repoussé l'attaque.

"Piège" afghan

La Chine, pour sa part, ne semble plus concevoir d’illusions sur l’issue des événements. Selon une source diplomatique de la région, citée par le Financial Times, elle se prépare à jeter les ponts d’une coopération avec les Talibans. L’objectif, avant tout autre considération géo-économique, est de leur signifier une volonté de sécuriser les abords de la bande de frontière avec l’Afghanistan, une zone tombée largement sous le contrôle de l’insurrection depuis la fin juin.

La doctrine constante de Pékin demeure la non-ingérence dans les affaires intérieures d'autrui - on traite d'Etat à Etat, avec le pouvoir en place. Dans une tribune publiée par un organe de presse étatique, un professeur du Centre d'études américaines de l'Université Fudan (Shanghai) écrit que son pays peut donc adopter une politique "plus pragmatique, plus souple". Zhang Jiadong assure qu’ainsi il n’y a pas de risque de s’embourber en Afghanistan, à la différence de l’Union soviétique et des Etats-Unis, "nous ne tomberons pas dans le piège afghan".

De ce qu’en disent en particulier les Indiens, les Pakistanais vont former le lien avec les Talibans, afin que ceux-ci comprennent bien tout l’intérêt d’écouter le projet régional de la Chine, à la condition préalable de tenir à l’écart les groupes chinois ouïghours, que Pékin classe comme terroristes. Ceux-ci sont composés, d’après une évaluation du Conseil de sécurité des Nations unies, de quelque 3500 éléments originaires de l’extrême-ouest de la Chine, dont une partie d’entre eux se trouvent actuellement sur le sol afghan.

Col Wakhjir

Comment alors convaincre les Talibans? En leur apportant à eux aussi les nouvelles routes de la soie, déjà promises aux autorités actuelles de l’Afghanistan. Le projet consiste en la création d’infrastructures au travers du col Wakhjir, en haute montagne à la frontière.

Dans une tribune publiée sur le site de la télévision d'Etat chinoise, un ex-conseiller économique de la présidence à Kaboul évoque "un projet clairvoyant". Shokrullah Amiri qualifie "le plan de connexion" de "primordial et passionnant pour tous les Afghans". Toutefois, dans quelle mesure est-il réaliste de lancer un chantier d'une telle dimension dans cette situation d’extrême instabilité? Chacun en reste, pour l’heure, à des déclarations d'intention sans qu’aucune date ne puisse être avancée.

Mais aux Etats-Unis, certains pensent que le vide laissé derrière elle par l'OTAN sera, d’une façon ou d’une autre, comblé par les Chinois, et qu’à ce moment, il ne sera pas seulement question d’infrastructures publiques. Selon la thèse de Michael Green, un ancien du Conseil de sécurité nationale sous l’administration Bush fils, la construction de cet axe de la route de la soie va immanquablement s'accompagner d’une requête chinoise d’installer une base militaire, comme au Cambodge ou à Djibouti. Il ne devient alors plausible qu'un jour prochain, ce soient les appareils de l’armée de l’air chinoise qui décolleront de la base de Bagram.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international