"On va les chercher en prison": comment des magasins testent leur sécurité avec des experts du vol à l'étalage

Les vitrines des magasins présentent des produits de luxe dans le quartier de SoHo à Manhattan, le 11 avril 2022 à New York. - AFP
Quoi de mieux qu'un délinquant pour prévenir et se prémunir de la délinquance? Si dans la cybercriminalité ou la falsification monétaire, les exemples de délinquants devenus experts en sécurité ne manquent pas, la pratique s'étend aussi pour les vols en magasins.
Notamment au Royaume-Uni, un pays où la délinquance dans le commerce de détail connaît une recrudescence sans précédent (+30% en un an). Or, comme l'indique le British Retail Consortium, environ 99% des 430.000 incidents signalés ont été clos sans que l'auteur ne soit identifié, occasionnant un manque à gagner de 2 milliards de livres sur une année (2,5 milliards d'euros).
En France, où le phénomène progresse aussi mais d'une ampleur moindre, certaines enseignes multiplient la mise en place d'antivols sur des produits comme la viande ou les tablettes de chocolats. Mais de l'autre côté de la Manche, de plus en plus de magasins cherchent à optimiser leur sécurité en faisant appel… à des voleurs à l'étalage.
C'est ce qu'explique Martin Gill, le fondateur de Perpetuity Research, un cabinet de conseil dans la sécurité, à Bloomberg. Sa société organise des "tests de pénétration" comme on les appelle dans la cybersécurité, qui consistent à réaliser des vols à l'étalage mystères.
"Ils ont passé leur vie à voler"
Ces faux voleurs sont des "criminels de carrière qui ont été fortement impliqués dans des vols et des fraudes", explique-t-il. Des personnes que le consultant a rencontré en prison, des agences de probation ou des centres de réhabilitation pour toxicomanes.
"Ils ont passé leur vie à voler, précise Martin Gill. D’une certaine manière, cela a plus d’écho auprès des détaillants qu’un professeur de criminologie."
Il s'agit d'"experts" du vol à l'étalage capables de repérer toutes les failles de sécurité dans un magasin. Ce sont généralement les enseignes de textile, dont la valeur des produits vendus est élevée, qui font appel à ses conseils.
Bloomberg décrit ainsi le faux larcin d'un certain Jack qui repère des manteaux de fourrure dans un coin faiblement éclairé d'une boutique de luxe. Constatant qu'une des alarmes en boucle (un câble qui déclenche une alarme lorsqu'il est sectionné) n'est pas branché, il fait glisser le vêtement de son porte-manteau puis sort avec sous le bras retrouver le responsable de Perpetuity qui notera la faille dans son rapport.
Les testeurs connaissent ainsi toutes les astuces des malfaiteurs chevronnés: recouvrir un sac d'un papier aluminium pour neutraliser les étiquettes électroniques, repérer les angles morts des caméras de vidéosurveillance ou encore les sorties de magasins qui échappent aux regards des vigiles.
Dénoncés par des clients
Parfois pourtant, ces experts sont pris en flagrant délit quand ils ne sont pas directement dénoncés par des clients de la boutique durant un test. Chaque voleur est pour cela équipé d'une carte "sortez de prison" comme au Monopoly.
"Plutôt que d'alerter la police, le personnel du magasin alerte un directeur général qui viendra nous sauver", explique Martin Gill, même si cela ne se passe pas toujours aussi bien et qu'il faut parfois se montrer persuasif.
La société ne communique pas le nom de ses clients mais on comprend qu'il y a un nombre croissant de grandes surfaces alimentaires. Notamment de la part de celles qui s'équipent en nouvelles technologies comme les caisses automatiques.
"Beaucoup de ces choses qui facilitent la vie d'un acheteur facilitent également celle d'un voleur", explique le consultant.
C'est ce que constate la grande distribution en France aussi. Après des années de déploiement, les caisses automatiques stagnent dans les grandes surfaces, quand leur nombre n'est pas réduit.
"En 2023, sur une année pleine du développement des caisses automatiques, on a vu la démarque inconnue exploser dans l’exploitation des magasins, explique à RMC Christophe Delay, délégué national FO pour le groupe Auchan. La direction a reconnu et a mis des choses en place. Toutes les études le démontrent: les gens n’ont pas l’impression de voler face à une machine."
Intermarché teste ainsi dans ses magasins des caméras intelligentes qui analysent les mouvement des mains et des produits devant les caisses.
