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Nutellhash, Haribeuh... Des grandes marques attaquent des dealers en justice pour contrefaçon

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Depuis mardi, le tribunal correctionnel de Créteil (Val-de-Marne) juge 18 prévenus soupçonnés d'avoir participé à un réseau de narcotrafiquants qui proposait à ses clients des sachets de cannabis parodiant l'identité visuelle de géants de l'agroalimentaire.

Il n'est pas commun de voir des géants de la confiserie ou des boissons sucrées dans la même salle d’audience que des trafiquants de stupéfiants. Ce mercredi 2 octobre, un procès très particulier s'est ouvert au tribunal de Créteil (Val-de-Marne). Une quinzaine de marques françaises et leurs avocats ont défilé à la barre en tant que victimes. Ils se plaignent de voir le nom de leur marque associé aux activités illégales des narcotraficants.

Au total, 18 personnes comparaissent depuis mardi pour leur implication dans un vaste réseau de trafiquants. Mais première pour un procès de ce type dans l’histoire judiciaire, l’infraction pour contrefaçon est également retenue.

Emballages de marques

Parmi les prévenus, on retrouve deux groupes. D’un côté, les membres présumés du réseau "Caliterter". Le parquet a requis jeudi jusqu'à 10 ans de prison et 50.000 euros d'amende pour le mis en cause présenté comme le chef du réseau. Des peines de 4 à 8 ans de prison ont été demandées pour ses lieutenants supposés.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. En démantelant ce vaste réseau implanté dans le Val-de-Marne, les enquêteurs sont remontés jusqu'à une société de marketing qui n'a aucune existence légale: "Pochette surprise".

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"Caliterer" a fait appel à cette agence, d'août 2022 à mai 2023, pour commander les sachets, y faire copier les logos et slogans de grandes marques en ayant recours à un graphiste et un imprimeur,avant de vendre ses pochons contenant du cannabis. Par exemple, Haribo était transformé en "Haribeuh", Nutella en "Nutellhash", et Chocapic devenait "Chitapic".

"On vend une dédramatisation des stupéfiants"

Une quinzaine d'entreprises, dont Ferrero (Nutella), Haribo, Mars (Snickers) ou Johnson & Johnson - son savon "Le Petit Marseillais" ayant été pastiché en "Le Petit Marocain"-, se sont portées parties civiles dans ce procès. Elles se plaignent notamment d'atteinte à leur réputation et de violation de la propriété intellectuelle. Le chiffre d'affaires de cette opération a été estimé à 860.000 euros, a indiqué la procureure Adèle Ephraïm.

"Je voudrais souligner l'ingéniosité des prévenus. Ils sont venus utiliser la renommée de Haribo dans le cadre de la vente de produits stupéfiants", a plaidé mercredi l'avocat du confiseur allemand. "Ca permet un avantage concurrentiel, une augmentation de l'attractivité, du chiffre d'affaires, de la communication et du profit", a poursuivi l'avocat, qui a commis un lapsus en se présentant comme l'avocat de "Haribeuh" avant de se reprendre, suscitant quelques rires dans la salle. "Nos prévenus ont du talent dans le cadre du marketing et je les invite à envisager une reconversion professionnelle dans ce domaine-là", a-t-il plaisanté.

Mais pour la procureure de la République, "le narcotrafic n'a rien d'un jeu". Cette activité représente "un terreau fertile pour la criminalité et tous ses dangers", notamment à l'encontre d'un public jeune, a-t-elle asséné ce jeudi lors de ses réquisitions. Elle a présenté "Pochette Surprise" comme "une firme d'influence en plus d'être société marketing (...) avec un seul but servi: le bénéfice".

De son côté, l’avocat de la marque de Gervais-Danone, représentant les yaourts Danette, a indiqué selon des propos rapportés par Le Parisien que "cela fait 105 ans (que l'entreprise qu'il défend) vend des yaourts". L’image du produit a servi pour la vente de cocaïne. “Ça fait drôle” mais “non ce n’est pas drôle”, a-t-il dit. Et d’ajouter: "On vend une dédramatisation des stupéfiants". Contactée par BFM Business, la marque Danone a indiqué ne pas vouloir commenter le procès en cours.

750.000 euros d'amende

Pour le représentant de Goûters magiques, société qui produit les crêpes Waouh!, aucun doute, les employés de l’agence digitale savaient dans quoi ils baignaient. “J’ai entendu les dénégations de Pochette surprise et n’en crois pas un mot, a-t-il asséné selon Le Parisien. Ces gens savaient très bien ce à quoi ils participaient”.

Si l’accusation arrive à prouver que l’agence travaillait pour des trafiquants de drogue en connaissance de cause, les prévenus pourraient écoper jusqu’à 750.000 euros d’amende pour “imitation d’une marque sans l’autorisation de son propriétaire, contrefaçon portant sur une marchandise dangereuse pour la santé ou la sécurité”.

Quatre ans de prison ont été requis contre le dirigeant supposé de "Pochette Surprise", qui réside en Espagne et ne s'est pas présenté. Des peines inférieures ont été demandées contre les autres protagonistes de cette société illicite.

Théodore Laurent avec AFP