La France est-elle en route pour redevenir une grande nation industrielle?

L’entreprise SME Industrie accompagne les entreprises du secteur industriel à adapter leurs installations électriques à l’évolution de leurs activités et au défi de la réduction de leur empreinte carbone. - SME INDUSTRIE - AdobeStock
La France a entamé sa désindustrialisation dans les années 70 à l’instar de la majorité des pays développés. Au début des années 2000, elle accélère la destruction de son tissu industriel.
Si pendant longtemps relativement peu de politiques et de chercheurs se sont emparés du sujet à bras-le-corps, il est revenu sur le devant de la scène à partir des années 2010. “750.000 emplois industriels ont été perdus en 10 ans […] L’industrie française atteint aujourd’hui un seuil critique, au-delà duquel elle est menacée de déstructuration,” avertissait le haut-fonctionnaire Louis Gallois en 2012 dans le Pacte pour la compétitivité de l’industrie française.
A l’époque donc, les esprits s'emparent à nouveau du problème; quelques années plus tard, la France a stoppé son processus de désindustrialisation.
Aujourd'hui, l'industrie pèse 13.5% du PIB français et emploie directement plus de 3 millions de personnes, selon les chiffres de France Industrie. A-t-elle trouvé le remède?
Le réveil des usines françaises
Si l’on en croit Bruno Le Maire, le renversement de la courbe serait exclusivement dû aux politiques menées sous les mandats d’Emmanuel Macron qui comprennent, entre autres, des baisses d’impôts pour améliorer la compétitivité des entreprises.
“Les résultats ils sont là, encore fragiles, encore modestes […] pas encore visibles pour tous nos compatriotes mais ils sont là et ils sont prometteurs,” a dit le ministre des Finances lors de la présentation de son projet de loi ‘industrie verte’ plus tôt ce mois-ci.
“Pour la première fois depuis plusieurs décennies, on ouvre plus d’usines qu’on en ferme, pour la première fois dans notre pays nous recréons des emplois industriels dans notre pays, 80.000 sur les deux dernières années,” a-t-il ajouté.
Pourtant, les premiers signes de réindustrialisation ne semblent pas avoir attendu l’installation du président en place.
“Dès 2016/2017, il y avait des signaux faibles, tangibles mais modestes” qui allaient dans ce sens,” explique François Bost, professeur de géographie économique et industrielle à l'université de Reims Champagne-Ardenne. Cela s’est d’abord manifesté par l’emploi, dit-il.
L’effet Covid
Quelques années plus tard, en 2020, la pandémie du Covid s’abat sur la France et le monde. De confinements en restrictions, les pays se referment, jetant une lumière crue sur les dépendances commerciales inter-étatiques, fruit de la mondialisation : les chaînes d’approvisionnement sont perturbées, l’Hexagone est touché par des pénuries... Sous la menace, le terme de souveraineté revient au goût du jour.
“La crise du Covid a soulevé la question primordiale de la souveraineté […] le regard porté sur l’industrie a changé,” dit François Bost qui considère que cette pandémie a été un “accélérateur de prise de conscience”.
Un point important pour lui qui estime qu'il y a eu une "desindustrialisation des esprits" pendant des décennies et que la mentalité est en train de changer.
Un gouvernement qui prend le sujet en main, des signes positifs et une mentalité qui évolue, que manque-t-il à la résurrection de l’industrie française?
Des freins de la réindustrialisation
Plusieurs décennies de désindustrialisation laissent des marques durables sur le territoire mais aussi chez les hommes. Ainsi, aujourd’hui, les industriels n'arrivent pas à recruter.
Fin 2022, presque deux-tiers des entreprises du secteur manufacturier rencontraient des difficultés de recrutement, d’après les données de l’Insee. Un pourcentage qui n’a jamais été aussi élevé depuis plusieurs décennies.
Le manque de main-d'œuvre disponible est notamment lié à une pénurie de compétences.
“On a de bonnes écoles d'ingénieurs mais on a besoin de plus de techniciens […] Il faudrait que l'Éducation nationale prenne conscience qu'elle a un devoir d'orienter vers les filières qui en ont le plus besoin” a dit Eric Trappier, président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie et PDG de Dassault Aviation, lors d'une rencontre avec l'association des journalistes économiques et financiers en 2022.
C'est une “question sociétale majeure” pour François Bost qui soulève aussi d'autres défis: pour réinstaller plus d’usines, il faut s'assurer que suffisamment de terrains soient disponibles mais aussi se défaire de la paperasse qui allonge les procédures. "Elle est bien réelle cette réindustrialisation" dit-il, avant de rajouter "mais se pose maintenant la question de sa matérialisation."
Cela va-t-il durer ?
“Le mouvement de réindustrialisation a déjà commencé à baisser,” selon Vincent Charlet, délégué général du think tank la Fabrique de l’industrie.
“L’industrie fait face à une conjoncture économique extrêmement défavorable,” explique-t-il. Il y a les prix de l’énergie notamment qui pénalise les industriels mais il y a aussi un écueil d'une toute autre nature: “on est mal outillé pour ce débat, on ne regarde pas les bons chiffres.”
Les indices - nombres d'emplois, part de l'industrie dans le PIB, etc.- qui servent aujourd’hui à mesurer le dynamisme industriel en France ne "montrent pas tout, dit-il. Une usine d’aujourd’hui n’a pas besoin d'employer autant de personnes qu’une usine d’hier et le secteur manufacturier –souvent utilisé comme référent lorsqu’on parle d’industrie- n’englobe pas l'ensemble des entreprises productives. Ainsi, il note qu’Airbus est considéré comme un industriel tandis que Dassault ne l’est pas dans les données publiques alors que cette dernière a “tous les attributs d’une industrie.”