La dégradation de la note française, des conséquences plus politiques qu'économiques?

L'agence S&P a donc rendu son verdict: la France a perdu son double pour écoper d'un AA-.
La dette française conservait la même note auprès de S&P depuis 2013. Gratifiée d'un AAA jusqu'en 2011, la note française avait été abaissée à AA+ en 2012 puis à AA un an plus tard. Comme on peut le voir sur ce tableau, le AA- de S&P reste plutôt une bonne note puisqu'il s'agit du 4ème niveau d'appréciation sur une échelle qui en compte 23.

A titre ce compraison, la France est moins bien notée que l'Allemagne (que des triples "A"), que les Etats-Unis (deux triples "A" sur les trois agences) mais s'en sort un peu mieux que le Royaume-Uni (AA3 chez Moody's contre AA2 pour la France) et bien mieux que les pays latins comme l'Espagne (qualité "moyenne" avec un A chez S&P) et surtout l'Italie (qualité "moyenne inférieure" avec un BBB).
La signature de la France a encore beaucoup de poids auprès des investisseurs qui voient dans la dette française un investissement sûr et accessoirement abondant. Le pays va emprunter 285 milliards d'euros en 2024 contre seulement 76 pour l’Allemagne.
La conséquence étant que l'Agence France Trésor n'a pas à proposer des taux trop élevés pour trouver des financements. Le "10 ans" français est légèrement au dessus des 3% quand l'Italie frôle les 4%, que le Royaume-Uni est à 4,4% et les Etats-Unis à plus de 4,5%.
L'avantage exorbitant de la France
La France bénéficie d'ailleurs d'un avantage exorbitant que l'état de ses finances publiques ne devrait pas lui assurer. Comme son voisin allemand est un bon élève qui émet relativement peu d'obligations, la dette française est très demandée par les investisseurs qui en veulent dans leur portefeuille. En émettant des obligations peu payantes, la France peut donc s'endetter à moindres frais.
Pour autant, cette dégradation de la note pourrait-elle changer la donne? La majorité des économistes ne le pensent pas.
"Les notes accordées par les agences de notation n’ont, en tant que telles, aucune importance, assure Sylvain Bersinger du cabinet Asteres. Elles n’ont d’impact que si elles influent sur les décisions des investisseurs, et donc sur les taux auxquels s’endettent les États. Or, depuis plusieurs années, on constate une déconnexion sensible entre les notes et les taux souverains."
Une note d'agence étant une appréciation d'éléments comptables déjà largement connus des investisseurs. Les chiffres on le sait ne sont guère flatteurs pour la France: 5,1% de déficit public en 2024 (contre 4,4% initialement annoncé), une dépense publique la plus élevée du monde (58,3% du PIB vs 49,6% dans l’UE), une dette publique à 110,6% du PIB (88,6% en zone euro) et des perspectives de croissance jugées trop optimistes (1% en 2024).
Pour autant le taux français a évolué de la même façon que le taux allemand ces derniers mois et le spread (différence de taux d'emprunt entre les deux pas) n'a pas augmenté. L'écart est d'environ 0,5 point quand par exemple, il atteignait 1,5 point au début des années 2010 alors que la France et l'Allemagne bénéficiaient toutes deux de la note maximale.
Lorsqu'en 2023, l'agence Fitch a abaissé la note de la France de AA à AA-, le taux des obligations françaises n'a pas subitement grimpé. Il a fluctué au gré du marché tout comme celui du voisin allemand, ni plus, ni moins.
Les habituels éléments de langage
Pas ou peu de conséquences économiques sont donc attendues, mais un retentissement politique certain. À quelques jours du scrutin des européennes, le "AA-" est déjà brandi comme un sceau infamant de la part des oppositions au gouvernement.
"La note, c'est le constat d’une situation acquise, vous ne pouvez pas corriger le tir au plan économique. Mais immédiatement derrière, vous savez que vous avez l’opposition qui va monter au créneau pour dire que le pays est mal géré", résume Franck Louvrier, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy dans Le Parisien.
La France avait d'ailleurs perdu son triple A pour la première fois en 2012 au début de la campagne présidentielle Sarkozy/Hollande.
Hier comme aujourd'hui, les éléments de langage pour minimiser l'événement sont prêts dans les ministères concernés. À l'époque c'était François Baroin, alors ministre de l'Économie qui s'était chargé de faire le service après-vente en comparant le "AA+" à un 19/20 qu'aurait obtenu un élève en classe.
Bruno Le Maire ne manque pas de relativiser à son tour. Dans une interview accordée au Parisien, le ministre de l'Economie rassure: "il n'y aura pas d'impact sur le quotidien des Français. Nous restons à un niveau de notation très bon. C’est comme si nous étions passés de 18 à 17 sur 20!"
"Là, je connais d’avance les éléments de langage si jamais il y a une dégradation : C’était attendu, c’est sans effet, etc.", ironisait la veille Michel Sapin, l'ancien ministre de l'Economie de François Hollande.
Et il sait de quoi il parle puisque c'est son collègue de l'époque, Pierre Moscovici, qui avait dû rassurer les Français après la perte du triple A de Fitch en 2013.
"La dette française est parmi les plus sûres et les plus liquides au sein de la zone euro, bénéficiant de taux historiquement bas, preuve de la confiance réaffirmée des investisseurs, déclarait alors l'ex-ministre de l'Economie. Cette confiance renforce la conviction du gouvernement que sa stratégie est la bonne."
Du côté de Bercy, on ne manquera pas de relativiser l'événement tout en en faisant une arme politique contre les oppositions, notamment celles qui ne goûtent guère la chasse aux dépenses publiques du gouvernement.
