Dette: la perspective d'une dégradation de la note française est-elle si grave?
"C'est comme si vous demandiez à un élève qui a eu 20 sur 20 pendant très longtemps et qui passe à 19 si c'est une catastrophe." Voilà comment, en 2012, l'ancien ministre du Budget François Baroin tentait, au 20 heures de France 2, de relativiser la dégradation de la note de la dette française par l'agence Standard & Poor's (S&P).
Pour la première fois, la France perdait, en pleine crise de la dette souveraine en Europe, son flatteur triple A décerné par l'agence de notation américaine. Avec le choc de la crise des subprimes, la dette française était passée de 69% du PIB à plus de 90%. Comme pour la plupart des grandes économies européennes d'ailleurs, sauf que celle de la France continuait alors à grimper quand celle, par exemple, du Royaume-Uni se stabilisait et celle de l'Allemagne commençait déjà à refluer.
Bercy en opération séduction
Si la dette française n'a pas depuis regagné son triple A et a même de nouveau été dégradée en 2013 de AA+ à AA, on craint désormais une nouvelle baisse de la note cette semaine. S&P va publier ce vendredi sa note pour la France et si elle suit la tendance de son homologue Fitch, le AA pourrait devenir un AA-. Autrement dit, le 20 sur 20 devenu 19 en 2012, 18 en 2013, pourrait maintenant tomber à 17, pour reprendre la comparaison de François Baroin. Plus tout à fait la même note.
Depuis quelques semaines, au plus haut sommet de l'État, c'est une opération séduction qui est lancée en direction de la plus influente des agences de notation (avec Moody's). La direction du Trésor est en contact avec les analystes de l'agence et Bruno Le Maire a même rencontré les dirigeants ce derniers jours, rapporte L'Express.
Objectif: convaincre les analystes de S&P que la trajectoire budgétaire de la France est crédible. À savoir, ramener la dette publique à 108% du PIB en 2027 (contre 111,6% fin 2022 et 112,9% en 2021) et boucler un budget sous les 3% de déficit à la même date (4,7% en 2022).
Aucun consensus pour réformer?
Un objectif pas si irréaliste mais sur lequel l'agence Fitch a émis des doutes fin avril en abaissant la note de la dette française de AA à AA-. L'agence cite notamment les manifestations socio-politiques de la réforme des retraites qui pourraient, selon elle, brider la volonté du gouvernement de réformer à l'avenir. C'est donc paradoxalement à la suite d'une réforme structurelle pour diminuer les dépenses que Fitch juge que les finances publiques pourraient se dégrader.
L'agence de notation européenne Scope a embrayé le pas de Fitch en mai en abaissant la perspective du pays, ce qui pourrait conduire à une éventuelle dégradation. Là encore c'est la situation politique qui inquiète les analystes et notamment l'absence de majorité au Parlement qui prive le gouvernement de pouvoir de décision. Les agences estiment donc que le gouvernement ne disposera pas d'un consensus social ni d'une majorité politique dans les quatre prochaines années pour faire des efforts budgétaires.
Si l'éventuelle dégradation de la France par S&P, agence plus influente que Fitch, aurait des conséquences politiques, notamment pour Bruno Le Maire qui tient à avoir une image de sérieux et de crédibilité en matière budgétaire, les conséquences économiques, elles, seraient en réalité très faibles.
Déconnexion entre les notes et les taux souverains
"La décision de Standard and Poor’s concernant la note de la France fait l’objet d’une attention qui semble excessive au vu de l’importance réelle de ces notes", estime ainsi Sylvain Bersinger, économiste chez Asterès.
"Les notes accordées par les agences de notation n’ont, en tant que telles, aucune importance. Elles n’ont d’impact que si elles influent sur les décisions des investisseurs, et donc sur les taux auxquels s’endettent les Etats. Or, depuis plusieurs années, on constate une déconnexion sensible entre les notes et les taux souverains."
En perdant leur triple A en 2011, les Etats-Unis n'ont pas subi une hausse de leurs taux d'emprunt. Idem pour la France. Un an après la perte du triple A de 2012, le pays empruntait même à des taux 1 point inférieur malgré une note dégradée. Et que dire du Japon dont la dette s'élève à 200% du PIB (près du double de la France), qui a des notes sensiblement inférieures à celles de la France dans toutes les agences et qui pourtant emprunte à des taux parmi les plus faibles du monde (parfois même négatifs).
"L’action des banques centrales, qui ont acheté massivement des dettes publiques ces dernières années (au Japon comme dans de nombreux autres pays), limite le lien entre le niveau d’endettement d’un pays, sa notation et son taux d’emprunt", analyse Sylvain Bersinger.
Aucune conséquence après la baisse de la note par Fitch
D'ailleurs l'abaissement de la note par Fitch en avril n'a pas eu de conséquence sur l'évolution du taux d'emprunt de la France. Le rendement de la dette à 10 ans a fluctué ces trois derniers mois mais davantage au gré des évolutions des taux directeurs des banques centrales que des avis des agences de notation. Ce taux est actuellement sous les 3% alors qu'il était au dessus de 3,2% quand la France avait une meilleure note.
Autre indicateur, le spread, soit l'écart entre le taux d'emprunt de l'Allemagne, emprunteur plus sûr (notée triple A par toutes les agences), et la France, est resté stable depuis fin avril. L'Allemagne emprunte à un taux environ 0,5 point inférieur à la France mais cet écart est historique et a même tendance à baisser (il dépasssait 1,5 point au début des années 2010).

Autrement dit, soit les investisseurs ont anticipé la note de Fitch, soit ils ne partagent pas son analyse sur les perspectives budgétaires de la France. D'autant que même avec un "AA-", la dette souveraine nationale resterait dans le wagon de tête des mieux notées en Europe derrière l'Allemagne, l'Irlande, l'Autriche et les pays scandinaves mais devant toutes les autres nations.
Une petite épine dans le pied
Si les agences de notation ne font plus la pluie et le beau temps sur les marchés de la dette souveraine, l'endettement de la France n'en reste pas moins préoccupant et coûteux en cette période de remontée de taux d'intérêt.
La France va emprunter 270 milliards d'euros sur l'ensemble de l'année 2023 avec une charge de la dette qui devrait atteindre les 52 milliards d'euros. Une hausse d'un point du taux d'emprunt représente un surcoût de 2,4 milliards d'euros pour les finances publiques la première année, 6 milliards la deuxième, 9 milliards la troisième. Autant d'argent en moins pour d'éventuelles baisses d'impôt et redistributions de pouvoir d'achat.
"Le taux auquel s’endette un emprunteur est la variable déterminante car, s’il augmente, les charges d’intérêt croissent proportionnellement, ce qui représente un risque de "boule de neige", rappelle Sylvain Bersinger. Des charges d’intérêt plus élevées dégradent la situation financière de l’emprunteur, conduisant les prêteurs à demander des taux plus élevés pour couvrir le risque perçu de défaut, et ainsi de suite, jusqu’à provoquer un possible défaut."
Plus que la note de vendredi, c'est le niveau de la dette française qui est important. Et celui-là, on le connaît déjà.
