L'Europe peut-elle vraiment réguler les Gafam?

L'Europe ne fléchira pas face aux géants du numérique. Vingt ans après la directive sur les services en ligne et le e-commerce, les commissaires au Marché Intérieur, Thierry Breton, et à la Concurrence, Margrethe Vestager, présentent ce mardi deux projets de règlements censés révolutionner la manière dont sont régulés les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft).
C'est la première fois en vingt ans que l'Europe s'attaque à la régulation de l'espace numérique et informationnel", s'est félicité Thierry Breton dans un entretien accordé aux Echos.
Deux textes préparés depuis plus d'un an seront présentés mardi. Le "Digital Services Act" (Acte pour les services numériques) ou "DSA", et le "Digital Market Act" (Acte sur les marchés numériques), également appelé DMA. Le premier se concentre sur la modération des contenus publiés sur les plateformes et le deuxième s'attaque à la concurrence.
Des sanctions importantes
Des textes difficilement compréhensibles pour le commun des mortels mais dont les conséquences devraient être considérables, avec une volonté de l'Europe d'agir en amont. Si les Gafam ne sont pas ouvertement cités, ils sont bien sûr visés par ces mesures qui concernent les acteurs du numérique de taille importante, comportant plus de 45 millions d'utilisateurs.
Reste à savoir si les sanctions prévues seront suffisamment importantes pour être dissuasives. En cas de non-respect, des amendes sont prévues, représentant un certain pourcentage du chiffre d'affaires de l'entreprise incriminée.
Et nous pourrions aller, en cas de manquements graves et répétés, jusqu'à l'interdiction d'opérer sur le territoire européen. Ces sanctions seront extrêmement claires", précise Thierry Breton aux Echos.
Des amendes allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires
Au delà de l'interdiction d'opérer sur le sol européen, ces sanctions pourraient aller jusqu'au démantèlement. "C'est-à-dire, l'obligation de céder sous certaines conditions encore inconnues, une partie des actifs à des entreprises européennes", comme tente de le faire le gouvernement américain pour TikTok, détaille auprès de BFM Business Sabine Marcellin, avocate spécialisée en droit de la cybersécurité et du numérique, du cabinet DLGA.
Le scénario est cependant peu probable. Les sanctions financières importantes restent l'élément dissuasif le plus fort avec des amendes en cas d'infraction pouvant atteindre 10% du chiffre d'affaires. A titre de comparaison, l'amende encourue en cas de non-respect du RGPD, le règlement européen sur la protection des données, était moindre, allant jusqu'à 4% du chiffre d'affaires.
On voit que les Gafam ont actionné très fort leurs forces de lobbying, ils ont même encouragé à déséquilibrer les autorités européennes. Ce qui veut dire, à mon avis, qu'ils prennent au sérieux ces deux projets", affirme Sabine Marcellin.
L'objectif des deux textes est d'imposer un nouvel ordre numérique. Pour résumer, le DSA a été pensé pour intervenir sur la modération des contenus, afin de lutter notamment contre la haine en ligne et les arnaques.
Avec ce texte, les plateformes auront la responsabilité de mettre en oeuvre des moyens importants pour garantir la sécurité de leurs utilisateurs. Cette responsabilité sera corrélée à leur importance. Les moyens de modération devront être renforcés et chaque géant devra nommer un représentant légal en Europe.
Mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles
Le second texte, le Digital Market Act ou DMA, est pensé pour agir sur les pratiques anticoncurrentielles. Il impose notamment aux géants du numérique de notifier l'Europe de toute acquisition. Ces dernières années, Facebook a racheté Instagram et WhatsApp, Google a avalé YouTube et l'application de navigation Waze. Ces acquisitions sont vues, en Europe comme aux Etats-Unis, comme un moyen d'étouffer la concurrence.
Le texte introduit aussi la notion de "gatekeeper", qui considère ces plateformes comme des passages obligés empêchant, par leurs pratiques, l’activité des PME. "Ces plateformes auront l'obligation de permettre à chacun - notamment aux PME - de migrer vers des services concurrents et d'accéder aux données de leurs propres clients", détaille Thierry Breton.
Les deux textes, présentés ce mardi à la Commission européenne, pourraient entrer en vigueur dans les dix-huit prochains mois. "Contrairement à une directive qui doit être transposée en droit national, le DSA et le DMA sont deux règlements qui entreront directement en application après le vote du Parlement européen et l'accord des Etats membres", explique Thierry Breton aux Echos.