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"L'économie du crime c'est le budget français de la défense": le blanchiment d'argent, un "business" colossal estimé entre 38 et 58 milliards d'euros par les Sénateurs

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Le blanchiment d'argent représente plusieurs dizaines de milliards d'euros par an en France, mais les dispositifs de lutte, en France comme à l'international, sont loin de suffire à endiguer le phénomène.

C'est une somme considérable: selon un récent rapport sénatorial, le blanchiment de capitaux en France représenterait entre 38 et 58 milliards d'euros par an, dont à peine 2% seraient récupérés – c'est-à-dire saisis – par les autorités françaises.

Intitulé "Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société", le document met en avant le manque de coordination en matière de lutte contre le blanchiment, que ce soit au niveau français ou international.

"Il n'existe pas de stratégie cohérente en matière de lutte contre le blanchiment", affirme le rapport, mais plutôt "une juxtaposition de dispositifs".

"Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société"

Le rapport d'enquête constate que le blanchiment d'argent pénètre dans l'économie réelle par une grande diversité de moyens, des plus rudimentaires (valises de billets, vente de contrefaçons) aux plus sophistiqués (cryptomonnaies).

Les estimations affichées par la commission d'enquête n'ont été ni confirmées ni infirmées par les personnes interrogées sur le sujet, néanmoins, la fourchette révélée par la commission d'enquête se base sur des chiffres de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et de la Cour des comptes européenne.

Selon l'ONUDC, le blanchiment de capitaux représenterait entre 2 et 5% du PIB mondial, entre 1.600 et 4.000 milliards de dollars, soit, rapporté au PIB français, environ 58 milliards d'euros. Un rapport spécial daté de 2021 de la Cour des comptes européenne estime pour sa part que le blanchiment représenterait 1,3% du PIB de l'Union européenne, soit près de 38 milliards par an pour la France.

Le constat est implacable: "avec une économie du crime qui génère un profit comparable au budget français de la défense (50,5 milliards d'euros en 2025, NDLR) (…) on comprend que les moyens mise en œuvre ne permettent pas aux services d'enquête de lutter à armes égales contre leurs adversaires".

L'essor des néo-banques et des cryptoactifs fait également l'objet d'une attention particulière, ces derniers faisant l'objet "d'une utilisation croissante par les organisations criminelles", qui bénéficient du caractère opaque et anonyme de ces moyens de transfert d'argent.

Plus de coordination et de coopération

Le rapport d'enquête déplore le manque de cohérence et de coordination des différents dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux, qui favorise le développement des activités criminelles. Un constat déjà connu, mais remis en avant par les sénateurs.

En se basant sur des données de l'office européen de police spécialisé dans la lutte contre la criminalité Europol, le document estime à 50 milliards d'euros par an le chiffre d'affaires généré par le crime organisé, "dont 49 milliards échappent à la justice et au contribuable ou au budget de l'État".

"Il faut une approche holistique et concertée", précise-t-il, soulignant que les mesures en place "permettent de frapper plus fort" mais qu'elles sont "trop peu utilisés faute de combattants suffisamment nombreux, formés et habitués à travailler ensemble".

Le rapport pointe également le "cloisonnement" des services, qui entrave le bon fonctionnement des enquêtes, malgré "un appareil préventif et répressif parmi les plus développés au monde".

Parmi les recommandations des sénateurs, la prise en compte de la dimension financière "dès l'ouverture des enquêtes", renforcer les moyens des équipes spécialisées dans la criminalité organisée et la délinquance financière ou encore améliorer le partage des bases de données des différentes entités qui enquêtent.

A l'international, les sénateurs préconisent notamment de renforcer le rôle des magistrats de liaison au sein des ambassades, un effectif de 20 postes qui couvrent 61 pays au total, qui facilitent "l'entraide judiciaire internationale".

La création d'une nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux, décidée en 2024, devrait également contribuer à renforcer la coopération entre les pays, mais la mise en œuvre effective de cette nouvelle entité va prendre quelques années.

Helen Chachaty