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TOUT COMPRENDRE - Turbulences financières au Royaume-Uni: le pari raté de Liz Truss

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En annonçant un plan budgétaire extrêmement coûteux, le gouvernement britannique a fait paniquer les marchés cette semaine. Face au risque de crise financière, la Banque d'Angleterre a été contrainte d'intervenir en urgence.

A en croire la presse britannique, ses jours au 10 Downing Street sont déjà comptés. Accusée d’avoir déclenché une tempête économique en annonçant un coûteux plan budgétaire, la nouvelle Première ministre du Royaume-Uni, Liz Truss, se retrouve dans une position délicate, moins d’un mois après son arrivée au pouvoir.

Un "démarrage désastreux", résume The Economist qui illustre la Une de sa dernière édition avec un montage de la dirigeante conservatrice et de son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, dans une barque au bord du naufrage.

• Pourquoi le plan budgétaire a semé la panique?

Elaboré pour stimuler la croissance et juguler l’inflation qui frôle les 10%, le "mini budget" dévoilé vendredi dernier par Kwasi Kwarteng promet un gel des prix de l’énergie pour les particuliers et les entreprises ainsi que des baisses d’impôts massives, notamment pour les plus aisés. Les dépenses prévues dont seulement une partie du coût -les aides aux factures énergétiques pour six mois- a été chiffrée par Londres, sont évaluées à entre 100 et 200 milliards de livres par les économistes.

Face à l’ampleur de ce plan au financement plus que flou, les marchés ont vu rouge. En début de semaine, un vent de panique a soufflé sur l’économie britannique, la livre plongeant à son plus bas historique pour se rapprocher de la parité face au dollar, tandis que les taux d’emprunt du Royaume-Uni s’envolaient à des niveaux jamais vus depuis la crise financière.

Ces turbulences ont eu des conséquences sur le marché immobilier où 40% des produits qui étaient proposés par des institutions de prêts avaient été retirés jeudi. Les taux immobiliers, eux, ont poursuivi leur hausse. Signe de mensualités en augmentation pour de nombreux Britanniques ayant emprunté à taux variable.

• Quelles réactions à l'étranger?

Assez rare pour être signalé, le Fonds monétaire international s’est fendu d’un communiqué pour indiquer qu’il "surveillait attentivement" la situation au Royaume-Uni. "Vu les pressions inflationnistes élevées dans plusieurs pays, y compris le Royaume-Uni, nous ne recommandons pas de mesures budgétaires importantes non financées, car il est important que la politique budgétaire ne barre pas la route à la politique monétaire", a souligné l’institution monétaire.

"Le budget du 23 novembre présente une opportunité pour le gouvernement britannique de (...) réévaluer ses mesures fiscales, particulièrement celles qui visent les revenus les plus élevés", qui risquent "d'accroître les inégalités", a ajouté le FMI dans son communiqué en forme de camouflet pour Liz Truss et Kwasi Kwarteng.

L'agence de notation Moody's a affirmé de son côté que de vastes baisses d'impôts non financées" par des réductions de dépenses publiques par ailleurs "vont mener à des déficits structurels plus élevés, qui ont peu de chance de résoudre les problèmes de croissance de long terme" et pourraient conduite à une dette difficilement soutenable.

Interrogée sur le sujet, la ministre des Finances américaine Janet Yellen a elle aussi indiqué que le Trésor américain suivait de près la situation économique de Londres. En France où la rigueur budgétaire n'est pas vraiment à l'ordre du jour, même Bruno Le Maire s’est dit "inquiet" pour la situation économique du Royaume-Uni après les "annonces spectaculaires" du gouvernement britannique qui "perturbent le marché".

• Quelle réaction de la Banque d'Angleterre?

Pour protéger l’économie et en particulier certains fonds de pension au bord de l’effondrement, la Banque d’Angleterre est intervenue en urgence cette semaine en annonçant l’achat pour 65 milliards de livres d’obligations gouvernementales à 15, 20 et 30 ans. "Le mouvement du marché est exacerbé depuis hier (mardi) et affecte particulièrement la dette à long terme. Si ce dysfonctionnement du marché continue ou empire, cela causerait un risque réel à la stabilité financière du Royaume-Uni", a mis en garde la BoE mercredi pour justifier son intervention.

Le même jour, Le Trésor britannique a défendu son plan budgétaire malgré les critiques abruptes et inhabituelles émises par le FMI. "Nous avons agi rapidement pour protéger les ménages et entreprises cet hiver et l'hiver prochain, après des hausses sans précédent des prix de l'énergie entraînées" par la guerre en Ukraine, a justifié le Trésor dans un communiqué.

"Nous nous concentrons sur le fait de faire croître l'économie et le niveau de vie pour tous et le Chancelier publiera un plan budgétaire de moyen terme le 23 novembre" qui "assurera que la dette recule dans sa part du PIB" (autour de 100% aujourd'hui), a-t-il ajouté. Jeudi, Liz Truss a elle-même assumé les mesures "controversées et difficiles" prises par son gouvernement. "Nous devions mener une action décisive pour aider les gens pour cet hiver et le suivant. (...) Nous devions prendre des mesures urgentes pour faire croître notre économie, faire avancer la Grande-Bretagne, et aussi faire face à l'inflation", a-t-elle déclaré.

• Comment ont réagi les marchés après l'intervention de la BoE?

Grâce à l’intervention de la Banque d’Angleterre pour apaiser les craintes des investisseurs, les taux obligataires britanniques se sont détendus dès mercredi. Ce vendredi, l’estimation du PIB britannique du 2e trimestre à +0,2% par l'ONS a également rassuré les marchés en écartant les craintes immédiates de récession. De fait l'institut de la statistique tablait initialement sur une baisse de 0,1%.

Dans la foulée de cette bouffée d’air frais pour l’économie britannique, la livre bondissait à nouveau face au dollar. En revanche, là où l'ONS pensait que le PIB avait déjà dépassé son niveau pré-pandémie de 0,6%, ce dernier est en fait toujours inférieur de 0,2% à son niveau de fin 2019.

"La bonne nouvelle est que l'économie n'est pas encore en récession. La mauvaise nouvelle est que, contrairement à ce que l'on pensait auparavant, elle n'est toujours pas revenue aux niveaux d'avant la pandémie", a résumé Paul Dales, de Capital Economics. "C'est la seule économie du G7 dans cette situation et cela rend les plans budgétaires" du ministère des Finances "encore plus intenables", selon lui.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco