Sous la pression de Trump, l'Ukraine doit-elle sacrifier la Crimée pour négocier la paix?

C’est la grande question au cœur de ces négociations: l’Ukraine doit-elle sacrifier la Crimée ? Question que Donald Trump a finalement tranchée. Pour lui, Kiev doit céder, c’est une évidence.
Révolu est le temps où son administration rejetait l’annexion de la péninsule et appelait au respect de l’intégrité territoriale. C’était en 2018. Mais pour le chercheur américain Samuel Charap, la prise de position de Trump n’est pas surprenante. Il a l’habitude de prendre parti dans des conflits territoriaux et peu importe si cela fait polémique.
"En 2019, il avait reconnu la souveraineté d’Israël sur le Golan. Puis en 2020, celle du Maroc sur le Sahara occidental."
Le positionnement de Trump aujourd’hui est d’autant moins surprenant que durant sa première campagne il disait: "de ce que j’entends, les habitants de la Crimée préfèreraient être du côté russe".
Une "affaire conclue"?
Pour le Kremlin, le sujet ne devrait même pas faire débat. Il s’agit d’une "affaire conclue".
"La Russie ne négocie pas son propre territoire", affirme son ministre des Affaires étrangères.
Sergueï Lavrov pose d’ailleurs comme condition préalable à toutes négociations la reconnaissance internationale de l'appartenance à son pays de la Crimée et des quatre autres régions occupées -soit environ 20% du territoire ukrainien.
Alors pourquoi est-il inconcevable pour Poutine de rendre la Crimée? Parce qu’elle est devenue la vitrine d’une Russie qu’il veut conquérante.
Depuis 2014, la péninsule de 2,3 millions d’habitants a été très largement russifiée. La minorité ukrainienne s’est vu imposer des passeports russes -les refuser signifiait perdre l'accès aux soins, à l’éducation, au droit de travailler. 800.000 Russes s’y sont installés. Le système judiciaire est russe. À l’école, on explique aux enfants que la Crimée à toujours été russe en omettant volontairement de rappeler qu’en 1954, c’est Khrouchtchev qui l’avait cédée à l’Ukraine.
Atout stratégique du Kremlin
Par ailleurs, Moscou a aussi investi dans l’économie du territoire. 70% du budget de la Crimée est payé par l’État. La Russie a construit trois centrales thermiques ainsi que le pont de Kertch qui la relie au continent. Un argument pour attirer entrepreneurs, travailleurs et touristes du continent.
En annexant la Crimée, Moscou a aussi récupéré un large espace maritime comprenant une quarantaine de gisement d’hydrocarbure en mer noire et en mer d’Azov. C’est aussi un territoire au positionnement stratégique qui permet au Kremlin de renforcer son emprise militaire en mer Noire face aux trois autres riverains membres de l’Otan que sont la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie.
Promesse à tenir
Mais pour Volodymyr Zelensky, il est toujours impensable de céder. Il est dans son rôle vis-à-vis de son opinion publique.
Reconnaitre l’annexion de la Crimée "serait une violation de notre Constitution", répète-t-il.
Le président ukrainien a dernière lui toute une partie de la population à qui il a fait une promesse, celle de récupérer les territoires occupés, de juger Poutine et le faire rembourser les destructions. Promesse qui semble de plus en plus irréaliste.
Une autre partie des Ukrainiens est aujourd’hui plus pragmatique et voit mal comment, dans les faits, le pays pourrait récupérer un territoire occupé et à ce point russifié. Pour eux, la Crimée est une cause perdue.
Volodymyr Zelensky tiendra-t-il son engagement jusqu’au bout ou pliera-t-il? Si oui, quelles conséquences? La reconnaissance de l’annexion ne serait en rien un gage de paix durable et surtout cela créerait un précédent potentiellement dangereux. Cela signerait un "retour du droit de conquête", mettent en garde les spécialistes. Un signal qui pourrait désinhiber un peu plus d’autres dirigeants aux ambitions expansionnistes.