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Téhéran menace de miner le détroit d'Ormuz entre l'Iran et le Golfe: ce serait "un cauchemar absolu" selon des experts du pétrole

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L'Iran a plusieurs fois menacé de bloquer la circulation dans le détroit d'Ormuz, où transite 20% de la consommation mondiale de pétrole, si ses intérêts vitaux étaient menacés.

Le "cauchemar absolu" du marché pétrolier va-t-il se produire avec la fermeture du détroit d'Ormuz ? L'armée israélienne a annoncé samedi soir mener des frappes dans la région de Bandar Abbas, grand port du sud de l'Iran situé dans ce détroit par lequel transite un cinquième de la consommation mondiale de pétrole. La campagne militaire israélienne lancée le 13 juin contre la République islamique s'est jusque-là surtout concentrée sur le centre et l'ouest du pays.

Depuis la semaine dernière déjà, Téhéran semblait se préparer à l'éventualité d'une intervention américaine alors que Washington avait envoyé une trentaine d'avions ravitailleurs en Europe : cette intervention est finalement survenue la nuit dernière. Selon le New York Times, citant des rapports de renseignement américains, l'Iran aurait préparé des missiles et d'autres équipements militaires en vue de frappes contre des bases américaines au Moyen-Orient.

Le régime de Téhéran serait donc prêt à riposter face à des Américains qui ont officiellement rejoint les Israéliens dans la campagne de bombardement des installations nucléaires iraniennes de Fordo. Et toujours selon le quotidien américain, la riposte pourrait être douloureuse pour les occidentaux. L'Iran pourrait commencer à miner le détroit d'Ormuz, une tactique visant à immobiliser les navires de guerre américains dans le golfe persique, indiquent des responsables du renseignement américain. Ce qui ne serait pas sans conséquence sur les activités économiques.

Car c'est l'un des endroits les plus stratégiques de la planète. Le détroit d'Ormuz, entre l'Iran et les Émirats arabes unis, fait l'objet de toutes les attentions depuis vendredi dernier, après des frappes israéliennes de grande ampleur sur le sol iranien, visant notamment des sites nucléaires et des dirigeants militaires.

"Je pense que le marché s'inquiète de la fermeture du détroit d'Ormuz", a indiqué un négociant de pétrole à l'agence Reuters, alors que les prix des hydrocarbures ont grimpé.

À de multiples reprises, et surtout depuis l'aggravation des sanctions américaines en 2018, l'Iran a menacé de bloquer ce détroit si ses intérêts vitaux étaient menacés, sans toutefois le faire. Cette perspective est qualifiée de "cauchemar absolu" par Arne Lohmann Rasmussen, chef analyste chez Global Risk Management, cité par l'AFP.

La porte de sortie de l'or noir

21% de la consommation mondiale de pétrole et un quart des échanges de gaz naturel liquéfié (GNL) transitent par ce détroit, d'une largueur minimale de 55 kilomètres, selon l'EIA (Agence d'information sur l'énergie).

Le détroit d'Ormuz
Le détroit d'Ormuz © AFP

Il s'agit de la porte de sortie de l'or noir produit par 5 des 10 plus gros producteurs mondiaux (Arabie Saoudite, Iran, Irak, Émirats Arabes Unis et Koweït). Ils y font passer 20 millions de barils par jour via deux étroits couloirs de navigation. Son bon fonctionnement est donc essentiel pour l'approvisionnement énergétique mondial, en particulier de l'Europe et de la Chine.

Un blocus pénaliserait aussi l'Iran

Pour l'heure, le risque d'un blocage de ce détroit reste théorique même s'il devient plus pesant en raison des derniers développements du conflit. Au moins deux raisons pourraient dissuader l'Iran de mettre ses menaces à exécution. D'abord, cela provoquerait probablement une grave escalade de la guerre. De plus, un blocus aggraverait vraisemblablement les difficultés économiques de l'Iran, visé par des sanctions internationales et très dépendant de ses exportations d'énergie.

"L’Iran a plusieurs fois menacé de bloquer le détroit d’Ormuz mais ne l’a jamais fait car cela gênerait ses propres exportations d’hydrocarbures ainsi que celles de deux pays proches de lui, l’Irak et le Qatar", observait ainsi l'historien Jean-Paul Burdy, dans la revue Questions Internationales en 2019.

Téhéran est jusqu'ici parvenu à maintenir des exportations élevées en contournant les sanctions. Selon The Economist, le secteur des hydrocarbures aurait rapporté entre 35 et 50 milliards de dollars au pays en 2023 (soit entre 8,7 et 12,3% de son PIB). 95% de ses exportations de pétrole brut sont destinées à la Chine d'après l'hebdomadaire économique.

La fermeture du détroit d'Ormuz est une crainte de longue date des pétromonarchies du Golfe, en particulier depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988). Certains pays ont déployé des investissements importants pour s'en prémunir comme l'Arabie Saoudite, qui a construit un réseau d'oléoducs reliant les champs pétroliers de l'est du pays à la mer Rouge (à l'ouest), d'où les hydrocarbures peuvent être exportés en cas de difficulté dans le golfe Persique.

Pierre Lann avec AFP