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Malgré un ralentissement, la croissance américaine a toujours de quoi faire pâlir d'envie la France: cela s'explique par l'IA sans laquelle le pays serait peut-être en récession

Intelligence artificielle.

Intelligence artificielle. - Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Selon le FMI, les investissements colossaux des géants de la tech dans les centres de données ont largement contribué à soutenir la croissance outre-Atlantique et à compenser l'impact des droits de douane.

Malgré les droits de douane de Donald Trump, l'économie américaine continue de surprendre par son étonnante vigueur. À 3,8% au deuxième trimestre en rythme annualisé, la croissance des États-Unis a été nettement plus dynamique qu'attendu. Et si le PIB n'a progressé "que" de 1,6% sur l'ensemble du premier semestre, la performance reste honorable à l'heure où la guerre commerciale pénalise les échanges mondiaux. A titre de comparaison, la France n'aura pas plus de 0,7% ou de 0,8% de croissance en 2025. Et la zone euro plafonnerait à 1,2% selon le FMI.

Et ce n'est pas la politique du président américain qu'il faut ici saluer.

En réalité, les Américains peuvent surtout remercier les géants de la tech comme Meta, Alphabet, Microsoft, Amazon ou Oracle qui, à travers des milliards de dollars d'investissements dans l'intelligence artificielle (centres de données, matériel informatique...), ont largement contribué à soutenir la croissance du pays.

"Les investissements dans les équipements informatiques ont en effet représenté, en volume, 70% de l’investissement total réalisé aux États-Unis au 1er semestre 2025, et constitué près de 50% de la croissance du PIB réel", confirme Enguerrand Artaz, stratégiste chez La Financière de l’Échiquier (LFDE).

L'analyste affirme que ces investissements "ont, à eux seuls, contribué presque autant" à la croissance "que la consommation privée, moteur majeur de l'économie américaine". Sans ces milliards injectés vers l'IA, "l'économie américaine aurait été proche de la stagnation ces deux derniers trimestres".

Selon certains analystes, ce serait même encore plus.

"Au premier semestre 2025, les investissements privés en logiciels et en équipement informatique ont très fortement augmenté aux Etats-Unis, explique Bastien Drut, responsable de la stratégie et des études économiques chez CPRAM. Cette accélération a été tellement forte que ce segment qui représente 4% du PIB permet en réalité d’expliquer 92% de la croissance américaine au 1er semestre."

D'autres sont plus radicaux encore: "en l'absence de dépenses liées aux technologies, les États-Unis seraient proches de la récession, voire en récession, cette année", assure George Saravelos, reponsable de la recherche chez Deutsche Bank.

Dans ses dernières prévisions publiées cette semaine, le FMI a lui aussi admis que la course au développement de gigantesques centres de données (40 milliards de dollars sur le seul mois juin, +30%) avait permis de stimuler l'économie américaine et de compenser l'impact néfaste des droits de douane sur le commerce.

Une croissance plus pauvre en emplois

Même constat pour JP Morgan qui assure que l'investissement dans "l’IA ajoute de la résilience à l’économie à un moment où la consommation faiblit et où les taux restent élevés". La banque se demande même si l'IA n'est pas le "nouveau moteur de la croissance américaine" et si elle ne va pas désormais servir de baromètre de l'économie comme le fut d'autres secteurs auparavant, à l'image de la construction ("Quand le bâtiment va tout va").

Un bémol toutefois: "Chaque dollar investi dans l'IA ne se traduira pas directement par un accroissement du PIB américain. Une grande partie des investissements est consacrée aux biens technologiques importés, ce qui a un impact négatif sur le PIB, et les efforts de relocalisation des capacités de production impliqueront un long processus de transition", rappelle JP Morgan.

Autre limite: la croissance générée par la révolution de l'intelligence artificielle est peu pourvoyeuse d'emplois. Ce que confirment les derniers chiffres décevants du marché du travail américain. "Les centres de données emploient peu de travailleurs une fois construits, surtout comparés à une usine ou à un complexe de bureaux, ce qui limite leur effet multiplicateur par une consommation tirée par les salaires", note Stephanie Aliaga, stratégiste mondiale des marchés chez JPMorgan.

Une récente étude de l'Université de Stanford a d'ailleurs confirmé que l’adoption de l’IA avait "freiné lourdement les embauches de jeunes diplômés dans les secteurs et emplois les plus exposés à une substitution par l’IA", abonde Enguerrand Artaz. "Dans ces secteurs, l’emploi des jeunes de 22 à 25 ans a baissé de 13% par rapport aux secteurs les moins exposés depuis fin 2022".

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Quels gains de productivité?

Plus que l'IA elle-même, c'est actuellement la construction des centres de données pour générer des capacités d'IA qui stimule le PIB des États-Unis. Mais cette frénésie pourra-t-elle durablement porter l'économie américaine? C'est moins certain. "On peut se poser la question de la durabilité de cette explosion des investissements informatiques, (...) notamment parce que tôt ou tard se posera la question de la rentabilité de ces dépenses colossales", souligne Enguerrand Artaz. D'après Deutsche Bank, la croissance des dépenses d'investissement des hyperscalers atteindrait d'ailleurs son pic cette année, "ce qui signifie que d'autres sources de croissance devront prendre le relais".

Qu'adviendra-t-il une fois la construction des datacenters achevée? En théorie l'intelligence artificielle devrait permettre des gains de productivité massifs. Ce qui est déjà constaté par ailleurs mais de manière très concentrée. Comme l'a souligné cette semaine le FMI en rappelant que ces gains ne s'étaient pas encore diffusés dans l'économie, et qu'il ne fallait pas sous-estimer l'existence d'une bulle:

"L’essor actuel de l’IA présente quelques similitudes avec la bulle Internet de la fin des années 1990", a indiqué l'institution, jugeant que "la déception engendrée par les résultats de l’IA sur le plan des revenus et des gains de productivité pourrait entraîner une brutale réévaluation des valeurs technologiques, marquant la fin de l’essor des investissements dans l’IA et de l’exubérance qu’elle a provoquée sur les marchés financiers, ce qui pourrait avoir des implications plus larges pour la stabilité macro-financière".

Et quand bien même les gains de productivité permis par l'IA se révélaient considérables, le FMI pointe le risque de voir ces bénéfices exclusivement captés par certains secteurs et uniquement dans les pays riches: "Le risque est que nous nous retrouvions dans un monde où la productivité augmente, mais où elle est aussi une source de divergence au sein des pays et entre les pays", a déclaré Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco