La marine russe en manœuvre près de l’Irlande: craintes pour les câbles sous-marins

La marine russe va procéder à des tirs réels. La flottille arrive en provenance d’une région proche de la Norvège pour des manœuvres du 3 au 8 février. Le quotidien irlandais Irish Times souligne que ce sont les premières d’une armée étrangère en vingt ans. Moscou accède, toutefois, à la requête de l’Irlande qu’elles aient lieu en dehors de sa zone économique exclusive (ZEE), l’espace maritime situé entre les eaux territoriales et les eaux internationales dans lequel les Irlandais peuvent exploiter l’ensemble des ressources, mais où l’Etat demeure obligé d’assurer la libre-circulation. Un entre-deux de souveraineté.
L’armée russe se veut quand même arrangeante. L’ambassadeur à Dublin, Yuriy Filatov, explique que le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, dans un geste de "bonne volonté", a décidé ce déplacement afin de ne pas entraver l’activité des bateaux de pêche irlandais, dont les représentants avaient porté directement réclamation auprès de l’ambassade. Une soixantaine de chalutiers sont censés entamer leur saison dans une zone qui se trouve à 240 km au sud-ouest des côtes du pays. La diplomatie irlandaise s’en félicite, tout en affirmant s’être justifiée "clairement et fermement" auprès des Russes. Et puis, l’Autorité de l’aviation civile fait savoir qu’elle se maintenait en alerte jusqu’à ce que les nouveaux emplacements des navires militaires en dehors de la ZEE soient connus.
Talon d’Achille
Cet Etat officiellement neutre, qui n’est pas membre de l’Alliance atlantique et ne dispose pratiquement pas d’une armée de l’air, se présente comme "une voix de compromis pour aider à éviter une guerre russo-ukrainienne", sans illusions non plus. En Irlande, on considère surtout que Moscou s’adresse là à Washington et aux grandes capitales européennes. Des sources irlandaises avancent alors que la zone choisie ne doit rien au hasard: il passe dans les environs le prochain câble sous-marin de fibre optique doté de la plus grande capacité au monde, qui va relier l’Europe à l’Amérique du Nord. Cathal Berry, député indépedant, un ancien officier supérieur, estime auprès de la chaîne publique RTE que c’est "le talon d’Achille", son pays ne disposant de surcroît d’aucun sonar, ni radar militaire pour surveiller ce qu’il s’y passe.
Alors l’armée russe se positionne-t-elle spécifiquement autour de cette infrastructure? L’hypothèse est avancée par des experts irlandais en matière de cybersécurité, et elle rencontre un certain écho aux Etats-Unis. A tel point qu’est monté le scénario d’un exercice qui servirait de couverture pour, le cas échéant, sectionner non seulement ce prochain câble transatlantique, mais d’autres existants déjà à proximité, présentés par le site irlandais breakingnews.ie comme "vitaux". La cartographie disponible atteste de leur présence en grand nombre, destinés à Internet, mais aussi aux transmissions entre armées de l’Otan. Le devenir de telle ou telle ressource halieutique mis de côté, la périphérie de la zone économique exclusive de l’Irlande apparaît alors comme stratégique sur ce flanc occidental de l’Union européenne. L’été dernier, un navire "espion" de la marine russe, transportant une gamme de submersibles de plongée profonde, a déjà été repéré près de câbles au nord-ouest de l’Irlande.
Fantasme
Un consultant spécialisé à Dublin, Brian Honan, ancien conseiller spécial auprès d’Europol, met en avant un autre paramètre significatif: des multinationales technologiques, avec leurs centres de données, disposent de leur siège européen en Irlande. Abîmer les câbles et ce serait, d’après lui, Google et Facebook qui en seraient affectés, avec un effet bien au-delà sur l’économie.
Y a-t-il pour autant matière à échafauder un tel scénario? D’autres analyses le font plutôt relever du fantasme destiné à susciter du bruit dans les médias anglo-américains, ajoutant à la déstabilisation générale en cours. La société spécialisée TeleGeography, implantée à Washington, Londres et Singapour, rapporte que, chaque année, plus de cent cas de ruptures de câbles sous-marins sont signalés de par le monde, et les techniques de réparation s’avèrent, somme toute, efficaces et rapides. Ce ne serait donc pas, le cas échéant, une ou plusieurs coupures au large de l’Irlande qui provoqueraient le chaos numérique dans l’Atlantique.