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L'Allemagne, la Suisse, l'Italie et le Portugal ont réussi à gouverner sans majorité: comment, eux, ils y sont arrivés

Bruno Retailleau et Emmanuel Macron le 5 novembre 2024 à Paris

Bruno Retailleau et Emmanuel Macron le 5 novembre 2024 à Paris - Stephanie Lecocq / POOL / AFP

Sébastien Lecornu a résumé d’une phrase ce qui manque cruellement aujourd’hui à la France : une culture du compromis. Comment nos voisins y parviennent-ils? Tour d’horizon de quatre pays qui ont intégré le consensus dans leur culture politique.

"Il suffirait de peu pour que ça fonctionne”. En annonçant sa démission, Sébastien Lecornu a résumé d’une phrase ce qui manque cruellement aujourd’hui à la France: une culture du compromis. Celle qui permet de faire passer l’intérêt général avant les intérêts particuliers quand les circonstances l’exigent. Celle qui, ailleurs en Europe, a souvent permis d’éviter la crise politique permanente.

Comment nos voisins y parviennent-ils? Tour d’horizon de quatre pays qui ont intégré le consensus dans leur culture politique.

La leçon portugaise : tout le monde n’a pas besoin d’être au gouvernement

Au Portugal, on appelle ça la Geringonça, "la machine bancale". Un surnom donné au compromis politique qui a sauvé le pays. Nous sommes en 2015. Le pays sort essoré de la crise financière et de l’austérité imposée par la troïka (FMI, BCE, Commission Européenne). Le Parlement est éclaté, aucune majorité ne se dégage. Le socialiste António Costa n’a pas les voix pour gouverner seul. Il va proposer un contrat parlementaire. Les partis qui s’engagent ne vont pas entrer au gouvernement, mais vont s’engager à voter les budgets.

En retour, le Premier ministre António Costa renonce à certaines coupes budgétaires et restaure des mesures populaires, comme la hausse du salaire minimum ou le rétablissement partiel des retraites amputées pendant l’austérité.

Un équilibre fragile mais qui a tenu. Le budget a été voté chaque année pendant 10 ans. Il a permis au Portugal de renouer avec la croissance et de restaurer de manière spectaculaire ses finances publiques. Aujourd’hui, Lisbonne est érigé en modèle de pragmatisme budgétaire et de compromis politique.

En Italie, les "pompiers de la politique"

L’Italie, elle, est la championne des gouvernements techniques.

Chaque fois qu’elle s’enlise dans la crise, elle fait appel à des "pompiers de la politique": des techniciens, économistes, souvent anciens banquiers, chargés de remettre la machine sur les rails avant de rendre les clés. Des mandats temporaires où la technique prime sur le politique.

Des technos à la rescousse de l’Italie

En 1995, après la chute du gouvernement Berlusconi, le parlement est fragmenté et le pays croule sous une dette colossale. Le pays fait appel à un ancien dirigeant de la banque d’Italie, Lamberto Dini. Il va prendre la tête d’un exécutif sans coalition formelle, réformer les retraites avec un gouvernement de technocrates et stabiliser le pays.

En 2011, Mario Monti, ancien commissaire Européen, est appelé à la rescousse au plus fort de la crise des dettes souveraines. Vu la taille du pays et le poids de sa dette, le risque est systémique, c’est l’avenir de la zone euro qui est en jeu. Mario Monti, entouré d’un gouvernement d’experts, va restaurer la crédibilité financière du pays sur les marchés.

De la crise à la confiance: Fitch salue la résilience italienne

En 2021, l’ancien président de la BCE Mario Draghi arrive en urgence, pour mettre en place le plan de relance post-Covid. Il forme un gouvernement de coalition assez large (gauche, droite, centre) avec une mission: moderniser l’Etat et sécuriser les milliards européens.

Le 19 septembre dernier, l’agence Fitch a relevé la note de l’Italie. L’économie Italienne a rebondi plus vite que la moyenne européenne après le Covid, et le pays a retrouvé une vraie crédibilité financière à Bruxelles, même si sa dette reste très élevée.

En Allemagne, le compromis érigé en méthode de gouvernement

En Allemagne, le compromis est une force. La culture du contrat participe à la stabilité politique du pays.

En 2005, le pays est fracturé après les lois Hartz sur le marché du travail. Le chômage est élevé et aucune majorité claire ne sort des urnes. La CDU d’Angela Merkel et le SPD de Gerhard Schröder vont décider de s’allier pour sortir le pays de la paralysie. A partir de là, la "Groko", la “grande alliance”, va s’inscrire durablement dans la vie politique allemande.

En Allemagne un contrat de coalition détaillé de 191 pages

Très concrètement, en Allemagne, chaque grande coalition repose sur un contrat de gouvernement ultra détaillé:

En 2005 par exemple, le document faisait 191 pages. Il abordait la consolidation budgétaire, les investissements, l’emploi, la recherche, etc… Chaque point était arbitré et résultait d’un consensus.

L’accord SPD/Verts/FDP de 2021 faisait 177 pages. A chaque fois, le document est envoyé aux ministères qui ont chacun leur propre feuille de route et objectifs à atteindre.

Une culture du compromis qu’incarne Angela Merkel quand elle dit en novembre 2007:

Foncer la tête la première dans un mur ne fonctionne pas. À la fin, c'est toujours le mur qui gagne.

Aujourd’hui encore, le paysage politique allemand est très fragmenté, avec une montée en force de l’extrême droite, une division au sein des écologistes et un affaiblissement des partis traditionnels. Et pour éviter le chaos politique, le nouveau chancelier Merz gouverne à la tête d’une grande coalition entre la CDU/CSU et le SPD. Cette “Groko” (Grande Alliance) vient de s’entendre sur un plan d’investissement colossal de 500 milliards d’euros sur 12 ans.

En Suisse, la "formule magique" du consensus

En Suisse, on ne gouverne pas sans compromis. Le pays vit avec des barrières linguistiques, on y parle quatre langues, il y a des cantons catholiques, des cantons protestants et autant de cultures politiques différentes.

Pour éviter les blocages, les Suisses ont inventé ce qu’ils appellent "la formule magique". C’est un accord tacite, qui n’est pas inscrit dans la Constitution. Depuis 1959, cette formule consiste à répartir les sept sièges du Conseil fédéral (le gouvernement) entre les quatre principaux partis. L’idée c’est que toutes les sensibilités gouvernent ensemble.

Chaque décision est discutée, amendée, et parfois soumise à référendum.

Avec cette "formule magique", le pouvoir se partage, ce qui incite à trouver des consensus et limiter les tensions politiques.

Mathieu Jolivet