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Ioukos: retour sur un feuilleton judiciaire tentaculaire

Deux hommes passent devant une photo de Mikhaïl Khodorkovski, en octobre 2003, au siège moscovite de la compagnie Youkos..

Deux hommes passent devant une photo de Mikhaïl Khodorkovski, en octobre 2003, au siège moscovite de la compagnie Youkos.. - -

L'affaire Ioukos - du nom de l'ex-plus grande compagnie pétrolière russe dépecée au profit du groupe public Rosneft - sur laquelle la justice néerlandaise doit rendre vendredi sa décision finale, est un long feuilleton judiciaire remontant à 2003.

La Cour suprême néerlandaise rend son jugement vendredi dans une affaire tentaculaire qui oppose les ex-actionnaires de l'ancien groupe pétrolier Ioukos à l'Etat russe, précédemment condamné à leur verser 50 milliards de dollars d'indemnisation.

Accusée par les ex-actionnaires d'avoir orchestré le démantèlement de Ioukos pour des raisons politiques, la Russie a été initialement condamnée à les indemniser en 2014 par une juridiction internationale située à La Haye.

Khodorkovski sous les verrous

Ioukos a été fondée lors du morcellement des actifs appartenant à l'ex-Union soviétique dans les années 1990, période qui a créé des oligarques russes comme Mikhaïl Khodorkovski.

Khodorkovski, principal actionnaire de Ioukos, achetée en 1995, et critique du Kremlin, est arrêté le 25 octobre 2003 et inculpé d'escroquerie et d'évasion fiscale de grande ampleur. Condamné en 2005, il passe au total dix ans en prison avant d'être gracié et libéré le 20 décembre 2013 en s'engageant à ne pas demander réparation.

En parallèle, le Parquet met sous séquestre 44% du capital de Ioukos. En novembre 2003, une fusion annoncée en mai avec un autre groupe pétrolier russe, Sibneft, est annulée.

Actifs gelés et dépeçage de Ioukos

La justice russe gèle ensuite les actifs de Ioukos en avril 2004 puis condamne le groupe à verser 3,4 milliards de dollars d'arriérés d'impôts. Les réclamations cumulées du fisc porteront sur plus de 27 milliards de dollars.

Les comptes bancaires du groupe sont gelés puis saisis le 9 juillet 2004. Le 19 septembre, Ioukos annonce ne pouvoir honorer ses contrats et suspend ses livraisons à la Chine.

Un mois après, la justice met en vente Iouganskneftegaz, filiale de Ioukos, pour partiellement rembourser sa dette au fisc. Une compagnie totalement inconnue, Baïkalfinansgroup, qui ne possédait même pas d'un numéro de téléphone, remporte les enchères controversées sur Iouganskneftegaz en mettant sur la table 9,35 milliards de dollars le 19 décembre 2004.

Quelques jours plus tard, la compagnie pétrolière publique Rosneft, contrôlée par le Kremlin, met la main sur Iouganskneftegaz en achetant 100% des actions de Baïkalfinansgroup. Pour la plupart des observateurs, il s'agit d'une manière pour le pouvoir de Vladimir Poutine de renforcer son contrôle sur le secteur énergétique russe.

Plusieurs gestionnaires de Ioukos fuient devant la multiplication des enquêtes contre les salariés du groupe géré depuis Londres.

Rosneft absorbe Ioukos

En 2005, depuis sa prison, Khodorkovski annonce avoir cédé les quelque 60% qu'il détenait dans Menatep, holding chapeautant Ioukos, à son principal associé Leonid Nevzline, réfugié depuis 2003 en Israël.

Le 19 avril, Rosneft obtient la mise sous séquestre de nouveaux actifs de Ioukos, condamnée un mois plus tard à verser 2,2 milliards de dollars à Rosneft.

En 2006, le tribunal d'arbitrage de Moscou place le groupe en redressement judiciaire et prononce peu après sa mise en liquidation.

Rosneft devient le numéro un du pétrole russe l'année suivante en finissant d'absorber Ioukos, achetant aux enchères trois des plus gros lots d'actifs et s'emparant même de son siège. L'affaire va néanmoins se poursuivre devant les tribunaux.

Condamnation de Moscou et appels

La Russie est condamnée le 28 juillet 2014 par la Cour permanente d'arbitrage, juridiction internationale située à La Haye (Pays-Bas), à verser des indemnités records de 50 mds de dollars (46 milliards d'euros) aux actionnaires de Ioukos pour les avoir expropriés.

Moscou fait appel et la décision est annulée en 2016 par un tribunal néerlandais, qui juge que la CPA n'avait pas les compétences pour se prononcer.

En février 2020, la cour d'appel de La Haye invalide à son tour cette décision, estimant que la CPA est bien compétente et confirmant la condamnation à payer les 50 milliards d'indemnisation.

Une décision contestée par Moscou devant la Cour suprême néerlandaise. La Russie subit un nouveau revers en décembre 2020, la plus haute instance judiciaire des Pays-Bas rejetant sa demande de suspendre l'exécution du paiement des indemnités dans l'attente du jugement définitif. Cette décision finale sera rendue ce vendredi.

Thomas Leroy avec AFP avec AFP