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"Ce que je redoute le plus? Donald Trump": l'alerte du Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz

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Le prix Nobel d'économie publie "Les routes de la liberté", nouvel essai sur les pleins-pouvoirs accordés aux grandes entreprises américaines.

"Ce que je redoute le plus? Donald Trump." Joseph Stiglitz est inquiet. L'économiste américain, Prix Nobel en 2001, ouvertement hostile à l'administration Trump depuis le premier mandat du républicain, a réaffirmé sa conviction dans "La librairie de l'éco", sur BFM Business.

Dans son dernier ouvrage, Les routes de la liberté, il évoque la mainmise des marchés financiers et des acteurs économiques au global sur le monde politique. Donald Trump, qui sera investi 47e président des États-Unis lundi, représente pour lui une forme d'aboutissement de ce système.

"Il ne comprend pas les notions de coopération, de droit international, de réciprocité… Tout ce qu’il fait est transactionnel, brutal et de court-terme", dénonce-t-il.

"C’est la loi de la jungle, et nous avons fait beaucoup de progrès pour sortir de la jungle, je ne souhaite pas y retourner", alerte l'économiste de 81 ans, au cours de son échange avec Emmanuel Lechypre. Une crainte d'autant plus grande que Joseph Stiglitz est "sûr que Trump va échouer" et que cet échec pourrait ouvrir la porte à un danger plus grand encore.

"Un roi avec ses bouffons"

La nomination d'Elon Musk au gouvernement américain, et plus précisément au Department of Government Efficiency (DOGE) chargé de "l'efficacité gouvernementale", lui semble illustrer la thèse principale de son livre: la liberté économique et la démocratie sont liées. Des monopoles trop importants capturent la liberté politique: "Si on permet la mise en place de monopoles, on autorise l’exploitation. C'est ce que défend la gauche: de trop grandes inégalités amènent les riches à dominer".

"Avec Trump, nous avons l’une des personnes les plus riches du monde (Elon Muks, ndlr) assise a côté d’un président héritier. Un roi avec ses bouffons."

Pour répondre à cette domination, Joseph Stiglitz développe l'idée que les marchés puissent être mieux encadrés -et la concurrence restaurée- pour permettre d'assurer une vie collective. S'inscrivant ainsi dans la lignée d'un auteur comme Karl Polanyi, qui cherchait à "ré-encastrer" l'économie dans le politique.

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"ll faut s’assurer que les marchés soient concurrentiels, oui, mais surtout qu’ils comprennent leur place, qu’ils soient réglementés pour ne pas polluer, pour ne pas exploiter. Les institutions sont importantes de ce point de vue. La supériorité technologique américaine provient de la qualité de nos universités. Or, toutes ne cherchent pas à gagner de l’argent", avance l'économiste hétérodoxe.

Insatisfaction et désinformation

Les conséquences d'un trop grand pouvoir des multinationales sur la vie publique se multiplient, selon lui. Les Américains déclarent ainsi régulièrement être moins satisfaits que certains Européens, alors que leur pouvoir d'achat augmentent beaucoup plus vite que celui des habitants du Vieux continent.

"Les statistiques ne capturent pas à quel point il est déplaisant de vivre aux États-Unis", relève encore Joseph Stiglitz.

"Même quelqu’un de riche doit subir le système d’assurance, par exemple. Avoir une bonne assurance est difficile, sauf pour les très riches. Il faut aussi se battre avec les compagnies aériennes quand elles annulent les vols, avec les sociétés d’accès à internet… La vie est une bagarre quotidienne, du fait des monopoles", ajoute-t-il.

Autre conséquence funestre, la désinformation: alors que X et Meta ont annoncé successivement leur intention de ne plus modérer les contenus eux-mêmes, la qualité de l'information se dégrade. "Les géants numériques ne prennent aucune responsabilité quant aux informations relayées. Les médias traditionnels ont toujours reconnu qu’ils avaient une responsabilité, mais les réseaux sociaux n’en prennent pas. Nous vivons dans une société de désinformation, ou de mauvaise information", conclut Jospeh Stiglitz.

Valentin Grille