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Bayer menace la Russie de ne plus lui vendre les semences dont ses céréaliers ont besoin

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Le groupe allemand pourrait ne plus commercialiser ses intrants agricoles vers la Russie. Bayer, qui compte dans ce domaine parmi les plus importants au monde, prend un ton politique.

Bayer durcit le ton face à la Russie. Au début du mois, le PDG de Bayer, Werner Baumann, se déclarait "choqué", en invoquant un "coup porté" par la Russie, aux "valeurs universelles de liberté et de démocratie". Le groupe allemand est passé hier de l’expression d’une indignation à celle d’une menace voilée.

Dans un communiqué, le conglomérat allemand a fait part de sa décision d’arrêter tout projet d’investissement en Russie et Biélorussie et de ne plus y rechercher "d’opportunités commerciales". Les livraisons de semences et d’intrants agricoles pour la campagne actuelle sont déjà effectuées. Mais ensuite, les approvisionnements aux exploitations russes pour 2023 et les années suivantes deviendraient conditionnés à la "cessation des attaques contre l’Ukraine" et à un "retour à la voie de la diplomatie et de la paix".

Cette sommation survient après une décision dans ce sens de l'américain Cargill, annoncée le 11 mars. Le plus important négociant agricole au monde réduit également ses activités en Russie, en y arrêtant en particulier ses investissements, comme d’autres chefs de file occidentaux du secteur.

Fenêtre des plantations

Pour ce qui concerne l’Ukraine directement, Bayer semble estimer que 2022 n’est pas encore perdu, sachant que la fenêtre des plantations se referme dans quelques semaines seulement. L'industriel allemand en avait fait un axe de développement, en y inaugurant, à l’été 2018, une usine de traitement de semences parmi les plus importantes en Europe.

Ce groupe, comme tous ses concurrents, sait combien la Russie et l’Ukraine sont devenues tout à fait indispensables à l’équilibre des marchés céréaliers. A eux deux, ces deux pays fournissent, jusqu’ici, non loin d’un tiers des exportations mondiales de blé et 15 % de celles de maïs.

Aussi, Bayer prend soin de désamorcer, au moins en partie, sa propre menace envers Moscou. Dans son communiqué, il est invoqué la récente déclaration du G7, disposant que toute augmentation des niveaux de prix alimentaires et la volatilité des marchés pourrait mettre en péril la sécurité alimentaire internationale.

Il ne semble donc pas exclu que Bayer vende quand même des intrants à la Russie en avançant cet argument, et le ministre allemand de l’Agriculture n’y trouvera pas forcément à redire. Cem Özdemir a récemment affirmé que "si tout le monde pense à soi dans cette situation", cela aggraverait la crise et conduirait à une nouvelle flambée des prix. En d’autres mots, tenter d’empêcher les agriculteurs russes de semer, ce n’est pas ce qui arrangera les choses.

Restrictions à l'exportation

Moscou commence toutefois à prendre les devants. Une ordonnance a été prise, ce matin, pour imposer une interdiction d’exporter des céréales vers les anciens pays de l’Union soviétique, à compter d’aujourd’hui jusqu’au 30 juin. Le texte n’a filtré qu’hier après-midi.

D’autres débouchés vont-ils subir de telles restrictions? Cela suscite l'inquiétude croissante du bassin méditerranéen, au premier titre en Egypte, qui essaie de garnir autant que possible ses stocks stratégiques. Le gouvernement les estiment à près de huit mois de consommation. En plein affrontements armés, dans un acte de neutralité agricole, le plus gros importateur de blé au monde a fait savoir qu'il en fait venir 126.000 tonnes supplémentaires de Russie et d'Ukraine, à parité, 63 000 tonnes chacun.

Al Ahram, le principal journal gouvernemental égyptien, a prévenu que la facture d’importation allait gonfler. Nader Nourredin, professeur d'agronomie à l'Université du Caire, y évoque ainsi "une dépendance" à ces blés russe et ukrainien, explicable par deux facteurs essentiels, un prix jusqu’ici 10% moins élevé qu’ailleurs et la proximité géographique. Il ne faut qu’une dizaine de jours pour que les cargaisons arrivent.

A présent, plus aucun blé ne quitte les ports ukrainiens et très peu de Russie en provenance de la mer Noire. Face à une paralysie grandissante, le secrétaire général des Nations unies, dit craindre ni plus, ni moins qu’un "effondrement du système alimentaire mondial". Antonio Guterres a, hier, exposé les facteurs du danger: 45 nations africaines et pays les moins avancés (PMA) importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie - 18 de ces Etats en importent au moins la moitié.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international