Fragilisés par la crise sanitaire, les aéroports régionaux sont-ils menacés?

Les aéroports régionaux ont subi la crise de plein fouet - Loic VENANCE
Loin d’avoir pansé ses plaies, le transport aérien accuse le coup. Après avoir subi de plein fouet la première vague de l’épidémie de coronavirus, le secteur a accueilli avec résignation l’annonce d’un reconfinement national dès vendredi, mettant fin à tout espoir de rebond à court terme. Dans ce contexte, les aéroports dressent un bilan catastrophique avec un trafic attendu en chute de 70% cette année et de 50% en 2021, selon l’Union des aéroports français (UAF).
"C’est un nouveau coup dur pour les aéroports français. Il y a beaucoup d’aéroports qui vont être fermés au trafic commercial", constate Nicolas Paulissen, délégué général de l’UAF. Mais "il restera un trafic résiduel avec d’autres types d’aviation, comme le fret et toutes les autres activités dont le transport d’urgence", tente-il de se rassurer. L’été, "meilleur que prévu", avait pourtant fait naître un espoir, certes prudent, de rebond. Mais le début de l'automne a, lui, "été pire que prévu", notamment en raison des "quarantaines" imposées au Royaume-Uni, ajoute-il.
S’ils sont moins dépendants des liaisons extérieures que les grandes plateformes, les aéroports régionaux, entrés dans la crise avec une santé financière parfois fragile, n’ont pas été épargnés. A Brive, 20.000 passagers avaient été transportés au 1er octobre, contre 94.000 l’an passé. Et Ryanair a récemment décidé d’y suspendre ses liaisons vers Porto et Londres, au moins jusqu’au printemps. La situation était en revanche plus encourageante sur les vols domestiques vers Paris, essentiellement empruntés par la clientèle d’affaires:
"9 rotations sur 11 ont été conservées et le taux de remplissage était très bon", assure Julien Bounie, président de l’aéroport de Brive-Vallée de la Dordogne. Mais avec le reconfinement, le trafic sera de nouveau au point mort.
Brive est loin d’être un cas isolé. Partout en France, les aéroports régionaux enregistrent des chutes de trafic considérables: -60% à Brest, -65% à Nantes, -70% à Limoges… A Lille, 750.000 passagers ont été accueillis depuis le début de l’année, contre 2,2 millions l’an passé. L’aéroport du Nord s’attend lui aussi à une baisse d’activité comprise entre -65 et -70% sur l’ensemble de l’année 2020.
Des aides d’État cruciales
En l’absence de trafic, les aéroports français ont vu leurs recettes fondre comme neige au soleil. Difficile dans ces conditions d’assumer des coûts fixes qui pèsent environ 80% de leurs coûts totaux. Face à cette situation intenable, l’UAF alertait l’État en mai sur la "mise en péril" des aéroports français et des 200.000 emplois directs qu’ils représentent.
L’organisation professionnelle a finalement été entendue. "On a bénéficié du chômage partiel dans les conditions les plus avantageuses, semblables à celles prévues pour le secteur du tourisme", note Nicolas Paulissen. Un soulagement pour les différentes plateformes. Avant même l’annonce du reconfinement, le dispositif d’activité partielle concernait 40% des salariés de Lille-Lesquin. "Mais on sera vraisemblablement à un volume plus conséquent au mois de novembre", reconnaît Pierre Fernemont, directeur commercial de l’aéroport. Brive-Vallée de la Dordogne a quant à lui eu recours au chômage partiel pour 13 de ses 22 salariés tandis que l’aéroport de Brest l’a utilisé pour 75% de son personnel au plus fort de la crise.
L’UAF a également obtenu gain de cause sur la prise en charge du financement de la sûreté et de la sécurité au sein des aéroports. Du moins en partie. En temps normal, ces missions régaliennes sont financées par la taxe d’aéroport prélevée sur les billets d’avion. Mais avec la chute du trafic, l’Etat a dû intervenir en accordant une avance de 300 millions d’euros aux aéroports pour les aider à remplir leurs obligations.
De quoi desserrer un peu plus l’étau. Même si l’UAF réclame depuis longtemps une prise en charge au moins partielle de l’Etat de ces missions qu’elle estime être de son ressort. "La France est un des seuls pays d’Europe à faire peser complètement le financement de ces missions sur le passager. Dans beaucoup de pays, il y a une prise en charge totale ou partielle de l’Etat", observe Nicolas Paulissen.
La plupart des aéroports déficitaires
Pour faire face à leurs difficultés financières, certains aéroports ont également contracté un prêt garanti par l’Etat. Un outil supplémentaire pour leur permettre de garder la tête hors de l’eau. L’UAF espère d’ailleurs que toutes les aides accordées en 2020 seront reconduites en 2021 compte tenu des prévisions d’activité peu réjouissantes.
D’autant que la situation financière des aéroports français a de quoi inquiéter. Sur 86 aéroports étudiés par la Fnaut (Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports), environ 70 sont structurellement déficitaires et ne survivent que grâce aux financements publics, de l’ordre de 170 millions d’euros par an, de l’Etat et des collectivités. Ils bénéficient ainsi de près de 100 millions d’euros de subventions d’exploitation, de 20 millions d’euros d’aides à l’investissement et d’un abattement sur leur taxe foncière pour un coût total de 50 millions d’euros par an.
"On considère qu’un aéroport est difficilement bénéficiaire en dessous de 700.000 passagers. Donc effectivement, avec la baisse de trafic, il va y avoir beaucoup plus d’aéroports déficitaires. il va falloir combler par des subventions d’exploitation et d’investissement", estime Nicolas Paulissen.
Des aéroports menacés?
La crise sanitaire du coronavirus va-t-elle porter le coup de grâce aux petits aéroports régionaux? Certains en tous cas ne cachent pas leurs difficultés. Avec une seule compagnie de retour depuis le déconfinement, Lorraine Airport, géré par la région Grand Est, va licencier un quart de ses 79 salariés. Auprès de L’Est républicain, la présidente du conseil départemental, Valérie Beausert-Leick, a estimé que l’on "assistait à la chronique d’une mort annoncée".
Pour autant, toutes les plateformes aéroportuaires ne se sentent pas en danger à court terme. A Lille-Lesquin, "nous sommes parvenus à limiter les dégâts. La perte de chiffre d’affaires sera conséquente mais nous espérons encore nous en sortir raisonnablement dans la mesure où nous avons bénéficié de mesures gouvernementales dont le chômage partiel et nous avons pris avec nos fournisseurs et concessionnaires dès le début du mois de mars toutes les mesures possibles pour réduire l’impact du confinement", explique Pierre Fernemont.
Ce dernier dit vouloir voir "le verre à moitié plein". Certes, l’aéroport s’attend sans surprise à des suppressions de programmes de vols des compagnies dès la semaine prochaine, mais les raisons d’espérer sont nombreuses. D’abord, les dépenses de fonctionnement "ont été réduites au strict minimum". Ensuite, "on a bien fonctionné au mois d’octobre, avec environ 80.000 passagers, ce qui est légèrement supérieur à nos prévisions", se rassure Pierre Fernemont. Cela s’explique selon lui par "un solide réseau domestique" et par une "zone de chalandise très qualitative avec une densité de population assez forte qui voyage beaucoup".
Il ajoute que les compagnies aériennes ont d’ores et déjà "déposé des programmes assez solides" pour la période de Noël, en supposant que le confinement soit levé d’ici-là. Et rappelle que "le mois de novembre est traditionnellement assez faible en termes de trafic, c’est moins catastrophique que la suppression des vols du mois de mai". Notons enfin que malgré la crise, le projet d’extension de l’aéroport est maintenu.
Plus petit, l’aéroport de Brive indique pour sa part ne pas être "menacé". "La gestion de mon prédécesseur était saine. (…) Il n’y aura pas de perfusion des collectivités qui ne rajouteront pas d’argent, donc l’avenir n’est pas menacé", déclare Julien Bounie. Il convient cependant de la nécessité de "trouver des méthodes innovantes pour essayer de développer" l’aéroport lorsque le trafic pourra reprendre à un rythme normal.
Pour les aéroports qui résisteront à la crise, la vraie menace pourrait plutôt venir de Bruxelles. En 2014, la Commission européenne a en effet adopté de nouvelles lignes directrices dont l’interdiction des subventions comblant les déficits des aéroports à compter de 2024. "C’est une idée que nous combattons. Il n’est pas possible pour certains aéroports de parvenir à l’équilibre mais ils jouent tout de même un rôle important. Et je pense que cette idée sera abandonnée compte tenu de la crise sanitaire que nous vivons", croit savoir Nicolas Paulissen.
Un modèle encore pertinent?
Coûteux, peu utilisés… Les petits aéroports régionaux sont régulièrement montrés du doigt par les ONG de défense de l’environnement et par les partisans d'une gestion rigoureuse des finances publiques qui n’hésitent pas à réclamer leur fermeture définitive. Mais "ces arguments sont avancés parce qu’on ne voit les aéroports qu’à travers le prisme du trafic commercial. Or, tous les aéroports n’ont pas vocation à faire uniquement du trafic commercial", rétorque Nicolas Paulissen.
Et "les aéroports ouvrent les territoires sur l’extérieur. Il y a des entreprises qui ne resteraient pas dans les territoires dans lesquels elles sont sans aéroport", poursuit-il. "Pour nous, l’aéroport est une nécessité absolue pour le désenclavement et le développement économique", abonde de son côté Julien Bounie.
Plutôt que d’encourager la fermeture des petits aéroports déficitaires, Nicolas Paulissen demande à l’Etat de renforcer leur compétitivité face aux autres plateformes européennes en baissant la fiscalité du transport aérien. Objectif: éviter que les compagnies aériennes, en manque de trésorerie, abandonnent l’Hexagone. "Il faut abaisser la fiscalité pour attirer les compagnies aériennes, notamment low-cost. Ces dix dernières années, 86% de la croissance des aéroports régionaux, ce sont les compagnies low-cost. Et elles sont très sensibles au coût de touchée", conclut le délégué général de l’UAF.