Faut-il continuer à payer 900 euros par mois les élèves de Polytechnique?

"Un prêt à taux zéro discutable." C'est ainsi que la Cour des compte qualifie la rémunération des élèves polytechniciens dans son dernier rapport annuel. Les magistrats de la rue Cambon se sont en effet penchés sur le système dit de la "pantoufle" qui consiste à faire rembourser aux élèves les sommes perçues durant leur scolarité s'ils ne travaillent pas dix ans pour l'Etat en sortant de l'école.
Pour comprendre ce système, il faut savoir comment fonctionne la scolarité dans cette prestigieuse école. Polytechnique est la seule grande école d’ingénieurs publique dont les élèves ingénieurs, de nationalité française, sont rémunérés (à hauteur de 900 euros bruts par mois) et n'ont pas de droits de scolarité à payer. Pourtant le coût de leur scolarité est très élevé. S'appuyant sur un rapport du Contrôle général économique et financier de 2013, la Cour l'estime en moyenne à 36.370 euros par an et par élève contre 20.078 euros en moyenne pour les autres écoles d'ingénieur publiques. Et cette somme n'intègre pas la rémunération des élèves.
Mais si les élèves à Polytechnique sont rémunérés comme à l'Ecole nationale d'administration (ENA) d'ailleurs, c'est parce qu'en théorie ils doivent, à leur sortie de l'école, travailler dix ans dans un corps d'Etat. S'ils ne respectent pas cet engagement, il leur faut rembourser leurs frais de scolarité. Le principe du remboursement des frais d’entretien et d’études, appelé également "pantoufle", constitue la contrepartie de cette rémunération.
Comment retrouver les anciens élèves?
Depuis une réforme de 2015, tous les élèves doivent ainsi rembourser soit 21.000 euros s'ils ont passé trois ans à l'école (la première année est exemptée), soit 32.000 euros pour ceux qui y ont prolongé d'une année leur scolarité. Le problème c'est que l'application de cette réforme serait dans les faits inapplicable.
"Alors même que le suivi actuel du remboursement de la pantoufle est lacunaire, l’École va devoir faire face à une augmentation considérable du nombre des élèves concernés: environ 7300 anciens élèves, contre 700 aujourd’hui", s'inquiète la Cour des comptes.
En effet avant 2015, seuls les élèves qui avaient effectué quelques années (mais moins de dix) dans la fonction publique devaient rembourser l'Etat. Paradoxalement, ceux qui à la fin de Polytechnique partaient travailler dans la finance à Londres, par exemple, échappaient au remboursement.
Depuis cinq ans, tous les élèves doivent donc rembourser. Mais l'école doit faire elle-même les recherches pour retrouver ses anciens élèves. Or elle ne dispose d’aucun suivi de ses diplômés. Les frais de gestion de ce nouveau dispositif risquent d’être élevés.
"Toutes ces difficultés n’ont pas été anticipées par l’École, qui n’a formalisé aucune procédure afin de préciser les modalités de remboursement des frais d’entretien et d’étude pour les promotions 2015 et suivantes, s'alarme la Cour des comptes. Cette situation n’est pas acceptable au regard de l’investissement spécifique consenti par l’État pour ces formations d’excellence et des enjeux financiers pour l’École."
Un élève sur six seulement dans la fonction publique
Mais même si l'école parvient à mettre en place un système efficace pour faire payer ses anciens élèves, la question de la légitimité de la rémunération se pose. Car si dans la plupart des écoles de formation de la fonction publique, comme l’ENA, l’école nationale de la magistrature, les écoles militaires d’élèves officiers de carrière, l’essentiel des élèves sont recrutés au sein de l’administration, ce n'est plus le cas de Polytechnique. Alors qu'à la fin des années 1970, 45 à 50% des élèves partaient dans un grand corps d'Etat à la fin de leur scolarité, ils n'étaient plus que 17% en 2018, soit 69 postes sur une promotion de 400 élèves.
Des promotions plus grandes, moins de postes proposés par l'Etat, des offres plus attractives dans le privé... Les raisons sont nombreuses pour expliquer cette désaffection des polytechniciens pour la fonction publique. "Le bien-fondé des rémunérations perçues par les élèves au cours de leur scolarité, qui s’apparentent à un prêt étudiant à taux zéro, paraît dans ce contexte discutable", souligne la Cour des comptes.
Et ce dans un contexte où les comptes de l'école ne sont toujours pas à l'équilibre. Les résultats comptables font apparaître "cinq exercices déficitaires consécutifs, de 2014 à 2018", se traduisant par une perte cumulée de près de 20 millions d'euros, "malgré un soutien financier accru de l"État à partir de 2016".
Polytechnique doit "prendre sans délai les mesures nécessaires pour rétablir, de manière durable, l'équilibre financier de ses comptes", estime la Cour, l'invitant aussi à trouver "de nouveaux financements".
Les magistrats proposent donc de réformer ce système pour le rendre plus juste. Les élèves pourraient ne percevoir une rémunération que durant leur stage dans les armées, soit seulement les sept premiers mois de leur scolarité. Ou encore l'école pourrait demander aux élèves de faire un choix de carrière dès le début de la scolarité. Comme à l'école normale supérieure, Polytechnique ferait coexister des élèves fonctionnaires rémunérés et des étudiants qui paieraient pour leur scolarité. Dernière piste plus radicale proposée par la Cour des comptes: supprimer purement et simplement la rémunération des étudiants et transformer le système en bourses sur critères sociaux.
