Pourquoi la fintech française a-t-elle si peu touché le grand public?

Image d'illustration - l'investissement en capital-risque dans les fintechs européennes poursuit sa décrue, avec une baisse de près d'un quart du nombre de deals en 2024. - Pixabay / Pexels
Où en est la fintech française? Selon L’année de la Fintech 2024 publié par l’Observatoire de la Fintech, sous l'effet du ralentissement amorcé en 2022 et confirmé en 2023, l'investissement en capital-risque dans les fintechs européennes poursuit sa décrue, avec une baisse de près d'un quart du nombre de deals en 2024.
Pour autant, les montants levés par les fintechs ont progressé de 8%, passant de 5,8 milliards d’euros en 2023 à 6,3 milliards en 2024. Moins de fintechs financées mais davantage de fonds injectés donc, ce qui a permis, selon Sifted, à deux fintechs françaises, Pigment et Pennylane, de gagner le statut de licornes (plus d’un milliard $ de valorisation) l’année dernière (ce qui est arrivé à 13 startups européennes, dont 4 françaises, contre 7 en 2023 mais 47 en 2022 et 69 en 2021).
Toutefois, le remarquable travail de suivi et d’analyse réalisé par l’Observatoire de la Fintech permet d’aller plus loin que ce constat. On peut notamment facilement dresser la liste des seules vingt fintechs françaises qui, depuis plus de dix ans, ont été capitalisées à hauteur de plus de 100 millions d'euros à travers leurs levées de fonds successives. Or celles d’entre elles qui proposent directement leurs services au grand public se comptent sur les doigts d’une seule main:
- Clubfunding (financement/placement),
- Ledger (cryptos),
- Léocare (comparateur d’assurances),
- SantéVet (animaux domestiques)
- et Younited (crédits instantanés).
Pratiquement toutes les autres, parmi les vingt, exercent sur le marché des Pros et des petites et moyennes entreprises (Qonto, Alan, Payfit, Swile, …).
Depuis dix ans, la France n’a pourtant pas manqué de startups originales, d’acteurs s’étant montrés précurseurs dans le domaine de la fintech. Toutefois, les fonds levés ne leur auront pas permis dans la plupart des cas ni de s’installer sur les très onéreux marchés grand public, ni de faire face à des fintechs étrangères très bien dotées et ayant rapidement gagné une assise internationale comme Klarna ou Revolut.
La fintech française a-t-elle donc manqué d’investisseurs? Cela semble douteux dès lors que, tous secteurs d’activités confondus, l’Observatoire en recense plus d’une trentaine. Par ailleurs, il faut tenir compte de l’engagement de l’Etat, particulièrement à travers BPI France.
Une concentration forte des investissements
Pourtant, les tickets moyens des levées de fonds auront été particulièrement faibles. N’atteignant jamais 20 millions d'euros au cours des dix dernières années (les montants les plus élevés ont concerné la banque digitale et l’insurtech, à 16 millions d'euros). Certes, il ne s’agit là que de tickets moyens. Dans les faits, certaines fintechs ont levé beaucoup plus de fonds. Mais elles sont rares et, nous l’avons vu, une vingtaine seulement sont aujourd’hui capitalisée à plus de 100 millions d'euros. On peut donc parler de concentration forte des investissements, quoique le plus souvent insuffisante pour les marchés grand public. Dans ces conditions, les investisseurs n’ont pas favorisé l’émergence d’un écosystème exerçant un effet d’entrainement sur les consommateurs.
Au lieu de viser la formation de nouveaux marchés, les investisseurs semblent, de manière très prudente et non sans un fort effet de mimétisme, avoir raisonné "à marché donné": des tickets pour voir, suivi d’autres, rarement élevés, si le marché semblait répondre et les voiles vite rabattues en cas de coup de vent. Certes, nous forçons sans doute le trait mais les chiffres sont là.
Une telle approche a pu être relativement pertinente sur le marché des Pros et des PME, où les attentes étaient fortes et vis-à-vis duquel banques et compagnies d’assurance, reconnaissons-le, ne rivalisaient pas de créativité. Là, les nouveaux usages ont vite pris, notamment parce que, très diverses, les offres des fintechs s’épaulaient les unes les autres et contribuaient, toutes ensemble, à dynamiser les attentes des clients. Sur le marché des particuliers, cependant, des moyens plus considérables auraient été nécessaires pour gagner la confiance et secouer les habitudes.
Il s’agit là d’un rendez-vous manqué car, pour ce qui concerne leurs propres innovations, la plupart des banques françaises ont adopté la même approche précautionneuse que les investisseurs. Dès lors, comme nous l’avons souligné dans notre précédente chronique, la France est aujourd’hui la lanterne rouge de la banque numérique. De sorte qu’en France, les néobanques non filiales de banques classiques en France ne seront pas françaises: N26, Bunq et surtout Revolut tiennent ce marché – et bientôt le marché des particuliers dans son ensemble?