Un tribunal estime désormais que les télétravailleurs ont droit aux tickets-restaurant

La validité des tickets restaurant 2020 sera prolongée jusqu'au 1er septembre 2021, alors qu'ils auraient dû être périmés fin février - PHILIPPE HUGUEN © 2019 AFP
Le brouillard continue à s'épaissir sur la question sensible de la distribution de tickets-restaurant aux salariés en télétravail.
Au départ, la situation était pourtant claire selon le gouvernement: "le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui travaille sur site dans les locaux de l'entreprise". Et d'ajouter: "dès lors que les salariés qui travaillent dans les locaux de l'entreprise bénéficient de titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes".
Mais une décision de justice du Tribunal de Nanterre du 10 mars dernier prenait le contre-pied de cette position estimant que les salariés de Malakoff Humanis, qui n'attribuait plus de tickets-restaurant aux salariés placés en télétravail, ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celle des salariés sur site.
Une décision qui n'avait rien de définitif, la preuve, un autre tribunal vient d'émettre un avis diamétralement opposé.
Pas de raison objective d'avoir une différence de traitement
Le Tribunal de Justice de Paris estime au contraire que les salariés en télétravail ne pouvaient pas être privés de leurs droits à tickets-restaurant lorsque leur journée de travail inclut un repas.
"Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise", peut-on lire dans l'arrêt.
"Toute différence de traitement entre des salariés doit être fondé sur une raison objective, le Tribunal constate que le télétravail a, en l’espèce, été imposé par la société du fait de l’urgence sanitaire et que l’égalité de traitement "est d’une particulière acuité dans le cadre du recours au télétravail rendu nécessaire par l’épidémie de COVID-19"", éclaire Marion Kahn-Guerra, Avocate Associée, Spécialiste en Droit du Travail.
Le tribunal a rejeté les arguments de l'entreprise (Schlumberger) qui refusait de verser les tickets-restaurant, à savoir qu'en télétravaillant, le salarié dispose d’un espace personnel lui permettant de préparer son repas.
Le tribunal a considéré au contraire que le télétravailleur ne travaille pas nécessairement de son domicile (il peut être dans un espace de co-working ou hors de chez lui) et n’a donc pas nécessairement d’espace personnel pour préparer son repas", nous explique l'avocate.
La Cour de cassation devra trancher
Autre argument, l’usage des tickets-restaurant qui est réglementé, ne serait pas compatible lorsque le salarié est à son domicile car il "ne peut pas utiliser un titre-restaurant pour acheter autre chose qu’un repas en restaurant, ou un repas directement consommable (même si celui-ci doit être décongelé) ou des fruits et légumes même non directement consommables, ce qui exclut que le salarié s'en serve pour financer ses courses de la semaine".
Le juge considère au contraire que "les conditions d'utilisation des titres restaurant sont tout à fait compatibles avec l'exécution des fonctions en télétravail puisqu'elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu'à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site."
C’est une position totalement différente de celle du Tribunal de Nanterre qui se fondait notamment sur l’accord d’entreprise relatif au télétravail lequel ne prévoyait pas l’attribution de tickets-restaurant aux salariés en télétravail. Mais on relèvera quand même que l’un des motifs de la décision est le fait que le télétravail ait été imposé par la situation sanitaire. Il n’est donc pas certain que le raisonnement du Tribunal de Paris aurait été le même en cas de situation de télétravail hors pandémie. Au final, la question reste est-ce qu’un salarié en télétravail est dans une situation objectivement identique à celle d’un salarié sur site?", s'interroge Marion Kahn-Guerra.
Il faut maintenant attendre les décisions qui seront éventuellement rendues par les Cours d’Appel de Versailles et de Paris en cas d'appel, voire même une décision de la Cour de cassation qui seule peut mettre un point final à ce litige.