Produits, logistique, implication des salariés: comment La Redoute a réussi son redressement

100.000 euros. C'est la somme que La Redoute va reverser à ses salariés devenus actionnaires qui avaient misé, sous l'impulsion de la direction, quelques centaines d'euros dans leur entreprise au moment de son changement de main en 2014.
Ce versement exceptionnel illustre le redressement rapide et exceptionnel de l'ancien roi de la vente par correspondance fondé en 1837 qui n'était plus que l'ombre de lui-même dans les années 2010, terrassé par les acteurs du commerce en ligne et une image vieillotte.
En 2014, son propriétaire Kering (le groupe de François Pinault) cherche activement un repreneur et cède l'entreprise au bord de la faillite (300 millions d'euros de pertes cumulées en 5 ans) pour 1 euro symbolique à deux de ses dirigeants en place depuis 2009: Eric Courteille et Nathalie Balla.
On les prend pour des fous dont le projet est voué à l'échec, mais ces deux-là ont un plan à plusieurs niveaux.
De 1 euro à une valorisation de 1 milliard
Au départ douloureux, ce plan démontre assez rapidement son efficacité puisque quatre ans plus tard, le groupe Galeries Lafayette décide d'acquérir une participation de 51% dans l'entreprise valorisée par moins de 1,2 milliard d’euros, avant de se hisser à 100% en 2022. Il faut dire que dès 2016, La Redoute affiche des trimestres successifs dans le vert, une première en huit ans, et accélère franchement pendant les confinements de 2020.
Quels ont été les leviers de ce redressement? L'aventure débute par une restructuration inévitable et difficile puisque 1178 postes sont supprimés sur 3437, avec des départs contraints.
Pour autant, les syndicats acceptent de jouer le jeu, visiblement convaincus par la stratégie proposée, la capacité des dirigeants à insuffler une dynamique et l'ouverture immédiate d'une partie du capital aux salariés. C'est une première étape essentielle pour renouer avec le succès: être capable d'embarquer tout le monde dans un projet.
"Cette très forte implication des dirigeants et des salariés est un facteur clé de la réussite de la relance de l'entreprise" confirme pour BFM Business, Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce.
Il faut également préciser que Kering injecte avant la cession 500 millions d’euros pour couvrir les pertes et assurer les investissements prioritaires.
Le catalogue de 1000 pages aux oubliettes
Cette stratégie s'articule évidemment autour du commerce en ligne à 100%, en s'appuyant sur une notoriété encore très forte auprès des consommateurs français, un maintien dans la région de Roubaix, et surtout un recentrage drastique des articles proposés à la vente.
La Redoute mise uniquement sur un positionnement mode (femme/enfant) et maison. Dans le même temps, le célèbre catalogue papier trimestriel de plus de 1000 pages est définitivement arrêté. De quoi générer d'importantes économies.
"Ce travail sur l'offre a été déterminant. En cessant d'être exhaustif comme avant, en se concentrant sur la mode et la maison, les dirigeants ont considérablement renforcé l'attractivité de La Redoute, c'est également un facteur clé de réussite" poursuit l'expert.
Ce recentrage est accompagné d'une montée en puissance des collections de produits prêt-à-porter et déco réalisées en interne, qui génèrent mécaniquement plus de marges. Encore faut-il viser juste.
L'idée est de mettre en avant "le style à la française" avec des équipes de design dédiées, des collaborations avec des créateurs à la mode, à prix abordables. Une offre qui trouve son public, notamment plus jeune.
Mieux, des boutiques physiques dédiées à la décoration sont ouvertes. "Une complémentarité qui a permis à La Redoute de retrouver du lien et c'est très important dans le domaine du mobilier. Les consommateurs souhaitent essayer un canapé avant de l'essayer par exemple" souligne Frank Rosenthal.
Préparer et livrer les commandes bien plus vite
Mais c'est surtout la modernisation de la logistique qui a permis de consolider ces choix stratégiques. L'entrepôt historique est abandonné, 50 millions d'euros sont investis notamment dans un nouveau bâtiment baptisé "Quai 30" afin d'améliorer la qualité de service et les délais de livraison. Une étape cruciale qui doit permettre de se mesurer aux mastodontes du Web qui livrent toujours plus rapidement.
Résultat, des commandes préparées en deux heures et des livraisons assurées en 24 heures, une performance rendue également possible grâce à Relais Colis (4700 points relais en France) qui appartient à La Redoute.
En 2021, La Redoute réalise 1 milliard d’euros de volume d’affaires, en hausse de 20%, en ligne avec ses objectifs, et dégage 100 millions d'euros de bénéfices. L’entreprise revendique un million de nouveaux clients et envisage même de se développer à l’international. Le groupe Galeries Lafayette a désormais entre les mains un outil performant et en phase avec les attentes des consommateurs.
La rapidité du redressement de l'enseigne étonne et dénote dans un secteur hautement concurrentiel qui fait beaucoup de victimes.
Un redressement "doublement rare"
"C'est doublement rare. Il y a peu de relances réussies dans le commerce et encore moins où les salariés en profitent. Surtout quand on regarde toutes ces marques de textile qui ont essayé de se relancer, qui passent de main en main et qui ferment. Le point commun de toutes ces enseignes, c'est l'absence de positionnement clair. La Redoute est plus à l'abri" analyse l'expert.
Reste à savoir si cela se maintiendra dans un contexte de forte inflation et d'arbitrages des consommateurs.
Ainsi, si le secteur de l’e-commerce (produits et services) s'est hissé l'an passé à 146,9 milliards d’euros, en hausse de 13,8% sur un an, les ventes de produits sont en recul de 7% par rapport à 2021.
"Il y a un vrai ralentissement de la vente de produits en ligne. Et ce retournement a lieu dans tous les grands marchés. C'est une menace à court terme notamment pour des questions d'expérience client. Néanmoins, le groupe Galeries Lafayette a tout intérêt à soutenir La Redoute afin d'en faire le bras armé de sa stratégie e-commerce" estime Frank Rosenthal.