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Où sont passés les 3 milliards d’euros d’argent public promis à STMicroelectronics pour un projet en Isère?

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Deux ans après la promesse de Bruno Le Maire de subventionner le projet de STMicroelectronics, 500 millions d’euros d’aides publiques ont été versées. Mais les trois nouvelles lignes de production qui devaient être créées en Isère sont loin d’être achevées. Bruno Le Maire quant à lui, a été embauché par un fournisseur de STM qui bénéficie indirectement de cette aide publique.

Près de 3 milliards d’euros d’argent public promis, pour quel résultat? Le 5 juin 2023, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire annonce un investissement public massif qui devait être réparti entre le franco-italien STMicroelectronics (STM), pour un montant d’1,05 milliard d’euros, et l’américain Globalfoundries (GF), pour 1,85 milliard d’euros.

"Le plus grand investissement industriel des dernières décennies", selon le ministre, devait permettre l’ouverture de trois nouvelles lignes de productions en Isère et la création de 1.000 emplois. Un projet baptisé Liberty qui devait totaliser 7,5 milliards d'euros d’investissement à Crolles, en Isère.

Toutefois, deux ans plus tard, les résultats ne sont pas à la hauteur: STM a déjà touché 500 millions d’euros de subventions, selon Bercy, mais vient d'annoncer la suppression de 1.000 emplois en France ainsi que l’arrêt de deux lignes de productions (l’une sera transférée dans un autre site en France et la deuxième à Singapour). En Isère, les travaux, eux, sont à l’arrêt: seulement une ligne sur trois a vu le jour.

Seulement 50% de la subvention perçue

Pour le député écologiste d’Isère Jérémie Iordanoff, c’est dû à "une erreur stratégique de l’entreprise franco-italienne".

Les semi-conducteurs, "c’est un marché cyclique", détaille un expert du secteur "et pour le moment STM est dans une phase descendante".

Cela signifie que les clients de STM ont terminé de faire leurs stocks, la demande diminue et "l’entreprise ne produit plus à 100% de ses capacités" sur son site en Isère. Or si les lignes "ne tournent pas à plus de 70% de leurs capacités elles ne sont plus rentables", ajoute un autre expert.

Les difficultés de STM sont également visibles dans ses résultats: son chiffre d’affaires a chuté de 23% en 2024 et encore de 24% au premier trimestre 2025. Des difficultés également perceptibles dans les prévisions de croissance, détaille une source à BFM Business: "STMicroelectronics prévoyait d’atteindre les 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2027, mais à cause du marché fluctuant des semi-conducteurs cette prévision est repoussée à 2029".

STMicroelectronics : une demande malade dans tous les secteurs clés – 30/01
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Globalfoundries, un partenaire américain aux abonnés absents

Le risque pour le projet Liberty c’est l’abandon pur et simple de la ligne de production du partenaire GF. L’Américain, devait développer ses nouvelles technologies avec le franco-italien, seulement il a concentré ses investissements en Allemagne et aux Etats-Unis, avant d’accepter ceux en France.

"Globalfoundries a obtenu des subventions massives des Allemands et les Américains, indique une source à BFM Business, et les négociations en France ont été difficiles."

GF a ainsi rencontré le président Emmanuel Macron à trois reprises avant d’accepter les termes du contrat isérois, auquel il risque de ne jamais donner suite.

Globalfoundries n’a donc touché aucune aide publique française, pour le moment, et les travaux ne sont pas près de commencer, déplore le conseiller régional écologiste Pierre Janot. Le projet annoncé en Isère a engagé tous les acteurs publics du territoire: "STM a sollicité les élus pour construire plus de transports et de logements afin d'accueillir les 1.000 nouveaux salariés dans son usine de Crolles".

Entendu la semaine dernière au Sénat, Bruno Le Maire s’est gratifié du partenariat réussi entre STM et Globalfoundries. Une situation jugée "ironique" pour l’élu local Pierre Janot qui considère l’investissement comme un "affichage politique", capable de prouver que "la France n’est pas larguée" dans un secteur aussi stratégique que les semi-conducteurs.

A quoi ont servi les 500 millions d’euros déjà versés?

Les subventions dans le secteur des semi-conducteurs servent avant tout à l’augmentation des capacités de production des lignes de fabrication déjà existantes. Pour le projet isérois, le plus coûteux ce sont les équipements et les machines de production, affirme un ancien salarié de STM.

Les machines utilisées sur le site de Crolles coûtent entre 10 et 30 millions d’euros l’unité et représentent 80% du coût global du projet. Elles sont principalement achetées auprès du géant hollandais ASML. Si Bercy s’assure des travaux, en pointant des "jalons précis de finalisation du projet et achats d’équipements", plusieurs élus s’inquiètent du départ de ces machines nouvellement acquises pour les lignes de production délocalisées en Chine. De son côté, STM assure que ce ne sera pas le cas.

Une inquiétude renforcée par l’annonce des 1.000 emplois supprimés en France, sur "la base du volontariat", martèle STM. Une décision surprenante pour une source de BFM Business car elle ouvre la porte à des départs de profils rares, et "recruter en France, c’est parfois mission impossible!". Selon, cet ingénieur, la gestion des talents est compliquée, car la France forme beaucoup moins d'ingénieurs qu’en Asie.

"La politique chez STM, c’est de recruter les jeunes ingénieurs avant la concurrence", indique un ancien salarié.

Selon lui, la France manque cruellement de ressources en recherche fondamentale. Ce qui est certain, selon lui c’est que "la direction, n’acceptera jamais le départ volontaire des ingénieurs très qualifiés".

Le contrat à 2,9 milliards d’euros, possible conflit d’intérêt pour Bruno Le Maire?

L’ancien ministre de l’Économie s’est chargé des négociations pour débloquer les subventions de 2,9 milliards d’euros pour le projet Liberty. Or, Bruno Le Maire, après avoir quitté Bercy, a été embauché le 1er janvier dernier, en tant que "conseiller stratégique extérieur" par ASML... le premier fournisseur d’équipements de STM.

Un rapprochement qui passe mal. Plusieurs sources contactées, dont l’élu écologiste Jérémie Iordanoff et le conseiller régional Pierre Janot, dénoncent un potentiel conflit d’intérêt. Elles estiment que les subventions versées à STM quand Bruno Le Maire était ministre de l'Economie ont servi en premier lieu à l’achat de machines d'ASML.

Le 3 décembre 2024, la haute autorité pour la transparence de la vie publique avait néanmoins approuvé la reconversion de l’ancien ministre, jugeant compatible son embauche au sein d’ASML avec ses anciennes fonctions au gouvernement.

"Je n’ai pas compris pourquoi Bruno Le Maire a atterri chez ASML... La holding hollandaise a déjà de nombreux conseillers et Bruno Le Maire n’est pas ingénieur, ni un spécialiste du marché", s’étonne une source proche du dossier.

Saisie sur le cas spécifique du contrat signé avec STM, la Haute autorité a conclu qu’elle ne pouvait pas se prononcer, du fait de l’absence de publication du contrat entre les deux acteurs.

Astrée Olivier