Pas de rosé cet été? Les viticulteurs craignent de manquer de bouteilles en verre

Plombées par la crise sanitaire, les ventes des viticulteurs ont connu une "très forte reprise" post-Covid ces derniers mois. Mais la filière craint déjà de voir la dynamique s’enrayer alors qu’elle fait face à une nouvelle difficulté pour le moins inattendue: le manque de bouteilles en verre.
Interrogé par BFM Business, Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France, évoque une "désorganisation des flux d’approvisionnement due en grande partie à ce qu’on vient de vivre pendant deux ans". Le Covid-19 a perturbé le fonctionnement des entreprises de verrerie et certaines d’entre elles confrontées à la chute de la consommation "en ont profité pour ralentir leurs unités de production", assure-t-il. Depuis, la demande est repartie à un rythme soutenu sans que l’offre ne parvienne à suivre, les usines ayant besoin d’un certain temps pour retrouver leurs pleines capacités.
Ajoutée à cela, la flambée des prix du gaz utilisé dans les fours verriers pour chauffer le sable à plus de 1300 degrés et qui représente à lui seul 75 à 80% de la consommation d’énergie de l’industrie du verre. Dans ces conditions, "certains verriers ont programmé des opérations de maintenance pour ne pas produire à des coûts prohibitifs", souligne Joël Boueilh.
Guerre en Ukraine, mouvement social en Espagne...
Auprès de l’AFP, Jacques Bordat, président de la fédération des industries du verre en France, confirme que "le marché est tendu" mais refuse de parler de pénurie. S’il reconnaît que l’industrie a connu au plus fort de la pandémie "une baisse de la production très sensible" compte tenu d’une demande en berne avec la fermeture des cafés et la paralysie du trafic aérien, il assure désormais que les usines tricolores tournent "à pleines capacités".
Des facteurs extérieurs peuvent aussi expliquer les récentes difficultés des viticulteurs à s’approvisionner en bouteilles. A commencer par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les deux pays étant d’importants fournisseurs de verre. La grève des routiers qui a touché l’Espagne en mars a également perturbé les usines de verre du pays. Autrement dit, les tensions entre l’offre et la demande sont aussi générées hors de France mais affectent directement l’Hexagone qui importe "plus de quatre bouteilles sur dix", explique Jacques Bordat.
Les bouteilles de rosé particulièrement concernées
Ces perturbations retardent les livraisons et chamboulent le calendrier des viticulteurs. Président des vignerons indépendants du Rhône, Yannick de Vermont voit les palettes de bouteilles arriver sur son domaine au compte-gouttes. La dernière livrée a été commandée en décembre mais seulement réceptionnée en avril. Résultat, la mise en bouteille de son vin initialement prévu pour le printemps "va certainement être repoussée à l’automne 2022".
Les tensions concernent surtout les bouteilles de rosé en verre blanc. Celles reçues par David Ratigner, président de l’Organisme de défense et de gestion des appellations Beaujolais, "ont mis six mois à arriver". "Elles auraient dû être là fin janvier, elles sont là début mai. Tout traine, c’est préoccupant", s’inquiète-t-il. La situation est telle que certains viticulteurs "se demandent s’ils ne vont pas mettre leur rosé dans des bouteilles vertes", alerte Joël Boueilh.
Les prix s'envolent
Entre la flambée des matières premières causée par une offre insuffisante et celle de l’énergie, les viticulteurs font face à d’importantes hausses de prix. David Ratigner estime que les bouteilles en verre ont déjà augmenté d’environ "30% depuis l’année dernière". Même constat pour Joël Boueilh qui évoque un prix moyen en hausse de "30 à 40%".
Et la tendance devrait se poursuivre. Compte tenu de la guerre en Ukraine, l’entreprise Verallia, spécialisée dans l’emballage pour les boissons et les produits alimentaires, a dit anticiper en 2022 "une hausse significative de ses coûts de production" et a d’ores et déjà prévenu qu’elle "continuera à ajuster ses prix de vente afin de refléter la pression venant de l’inflation des coûts".
Ces augmentations vont-elles se répercuter sur le prix payé par le consommateur? Les négociations commerciales achevées au 1er mars ont déjà acté une hausse des prix de vente et la nouvelle phase de discussions ouverte récemment devrait aboutir au même résultat. "On est incapables d’absorber toutes les hausses de coûts", reconnaît Joël Boueilh. Un constat partagé par David Ratigner qui assure que "les clients le comprennent dans l’ensemble". Mais "c’est quand même gênant, ce n’est pas dans nos habitudes. On n’aime pas faire ça", conclut-il.