L’essor du télétravail va-t-il entraîner une délocalisation massive des emplois qualifiés?

La télémigration va-t-elle exploser? - Linday Reul- Flickr-CC
Après les cols bleus, les cols blancs des pays développés vont-ils à leur tour être mis en concurrence avec ceux des pays émergents? Selon une étude du Tony Blair Institute for Global Change, la généralisation du télétravail depuis le début de la crise sanitaire pourrait déclencher un mouvement massif de délocalisation des postes qualifiés dans le secteur des services.
D’après ces travaux, de nombreuses entreprises ayant eu recours au travail à domicile se sont aperçues que certaines tâches pouvaient être effectuées sans problème à des milliers de kilomètres de leur lieu d’implantation. Si bien que la tentation de délocaliser des emplois qualifiés et bien rémunérés pour réduire les coûts est forte.
Pour le Tony Blair Institute for Global Change, ce phénomène pourrait avoir des conséquences comparables à "la perte d’emplois manufacturiers observée dans les années 1970". Au Royaume-Uni, 18% de la main d’œuvre, soit 5,9 millions de personnes, exercent un emploi dans le tertiaire potentiellement "délocalisable". Il peut s’agir d’ingénieurs, de comptables, de graphistes, de développeurs Web ou encore de responsables marketing. Outre-Atlantique, les économistes de l’Université de Princeton Alan Blinder et Alan Krueger estiment même que 35 à 40% des emplois américains qui requièrent un diplôme pourraient être concernés, selon Le Monde.
Développement des technologies de télécommunication
Ce concept de "télémigration" a été développé avant même la pandémie de Covid-19 par Richard Baldwin, économiste à l’Institut des hautes études internationales de Genève. En mai 2020, une note du Groupe d'études géopolitiques décrivait déjà le phénomène.
"Alors que les travailleurs qualifiés ont jusqu’ici été protégés des effets de la mondialisation, la donne pourrait changer, de nombreux freelancers compétents, notamment issus des pays du Sud, étant dorénavant capables de rentrer en compétition avec eux", écrivait le centre de recherche.
Pour Richard Baldwin, le mouvement est stimulé par le développement des technologies en matière de communication à distance: les entreprises ont investi "dans de nouveaux logiciels collaboratifs en nuage ainsi que dans du matériel et des services de télécommunication", explique-t-il.
Et les outils technologiques en matière de traduction vont permettre à "des centaines de millions de travailleurs indépendants talentueux et peu coûteux qui ont été exclus de la télémigration faute de compétences linguistiques" de communiquer dans "un anglais ou un français suffisamment bon ou dans toute autre langue largement répandue", ajoute l’économiste qui s’attend à voir le phénomène s’accélérer "à mesure que la 5G sera mise en place et qu’elle multipliera par 100 les vitesses de transmission".
Une "opportunité" face à la pénurie de main d'oeuvre?
Si la délocalisation des cols blancs peut représenter une menace, elle peut aussi être vue comme "une opportunité", selon le Groupe d’études géopolitiques qui rappelle que "les économies françaises et européennes sont en manque structurel de travailleurs qualifiés dans de nombreux domaines". Et faire venir des employés de l’étranger peut parfois être une opération délicate pour des petites entreprises.
En outre, "les télémigrants sont la chance de démocratiser l’accès à certains services encore trop peu répandus, en particulier dans les plus petites entreprises : programmation, compatibilité, formation, etc. Si les télémigrants augmentent plus vite la taille du gâteau qu’ils n’en divisent les parts alors leur arrivée se fera sans heurts", conclut le Groupe d’études géopolitiques.