Smartphones: et si on produisait en France?
Des smartphones made in France, c'est possible? Si certains fabricants ont tenté de jouer la carte hexagonale, dans la plupart des cas, la R&D et le design sont locaux mais la production et l'assemblage sont confiés à des géants chinois ou taiwanais spécialisés. En réalité, aucun grand constructeur n'a jamais fabriqué de smartphones en France pour des raisons de coûts et de ressources.
Mais certains tentent ou vont tenter cette aventure industrielle à hauts risques. Une marque spécialisée, Kapsys qui développe des smartphones dédiés aux personnes âgées ou qui sont atteintes de déficience visuelle a rapatrié sa production en France en 2017.
Un exemple qui pourrait être suivi par Crosscall qui développe avec succès des smartphones durcis à utiliser en conditions difficiles ou extrêmes et qui équipe depuis l'an passé la police et la gendarmerie.
500.000 smartphones vendus par an
Le fabricant qui écoule en moyenne 500.000 terminaux par an (hors commande publique de 230.000 unités) murît cette réflexion depuis longtemps déjà.
"Pour un industriel, l'éloignement de la supply chain est très mauvais. Cela engendre tout un tas de problèmes, logistiques et humains. Globalement ça a toujours été compliqué pour nous", explique à BFM Business, Cyril Vidal, PDG de Crosscall.
Mais la crise sanitaire a accéléré le mouvement avec ses conséquences sur les problèmes d' approvisionnement avec l'allongement des délais de livraison depuis la Chine et l'explosion des coûts des containers avec des prix multipliés par 10.
"Le covid a été un révélateur", poursuit le dirigeant. "On a eu de gros problème d'approvisionnement et quand les usines ont rouvert, la qualité n'était plus au rendez-vous. Ce n'étaient pas les mêmes ouvriers qui travaillaient et on a refusé beaucoup de produits qui ne remplissaient pas nos standards de qualité. Cela nous a coûté 35 millions d'euros de chiffre d'affaires". De quoi planter le dernier clou dans la volonté de relocaliser la production pour le fabricant...
Au moins 14 millions d'euros d'investissements
Ce grand rapatriement se fera en trois étapes. La première qui consiste à relocaliser la R&D en France, à Aix-en-Provence, est aujourd'hui réalisée. Le fabricant y a installé de nouvelles machines pour fabriquer des prototypes. Afin de mener à bien ce projet, Crosscall a bénéficié d'une aide de 800.000 euros dans le cadre du plan France Relance pour un investissement de 4 millions d'euros. Le fabricant entend bien s'inscrire dans la politique gouvernementale qui multiplie les incitations pour inciter les industriels à relocaliser leurs usines notamment dans les domaines technologiques.
"L'objectif est aussi d'améliorer nos produits pour voir comment ils vieillissent, et donc améliorer la production. On a de très beaux outils pour conforter notre durabilité. Nos produits sont désormais garantis 5 ans au lieu de 3", souligne Cyril Vidal.
La deuxième qui doit être achevée d'ici la fin de l'année consiste à ouvrir une usine de reconditionnement en France. "On le faisait avec un sous-traitant et nous souhaitons reprendre cette activité. Par exemple en reconditionnant les 230.000 terminaux livrés à la police et à la gendarmerie qui vont revenir dans les cinq prochaines années", explique le PDG.
Enfin, et c'est l'étape qui prendra le plus de temps, il s'agira de relocaliser la production en tant que telle en France. Ce qui exigera un investissement très lourd (au bas mot 10 millions d'euros sur 5 ans). Mais les choses vont vite. Crosscall a déjà trouvé le bâtiment (en face de son siège social à Aix) et les travaux de 4 à 5 mois vont prochainement débuter.
Le plus de fournisseurs français possible
Dans le même temps, le groupe est parti en quête de fournisseurs: "on veut travailler le plus possible avec des fournisseurs français. Pour un smartphone, il y a 3 à 7 strates de production: de la plasturgie, en passant par les écrans, aux composants. Nous avons trouvé un partenaire français pour la plasturgie et une partie des composants électroniques sera fournie par STMicroelectronics", détaille Cyril Vidal. Bien sûr, Crosscall ne pourra faire autrement que de faire appel à des acteurs asiatiques ou américains pour certaines pièces comme les écrans, la mémoire.
Il faut également régler la question des ressources humaines. Malgré l'absence de cette industrie en France, le PDG n'est pas inquiet "il y a les techniciens et on formera des profils divers, le processus est lancé". Entre 50 et 100 personnes seront recrutées dans un premier temps "mais ça peut monter très vite en fonction de la production, on s'adaptera comme on l'a toujours fait".
Le puzzle se met en place, plus rapidement que prévu: "le calendrier va être anticipé, on va commencer à produire les accessoires plus rapidement, début 2023 et 2023/2024 pour les smartphones au lieu de 2025", ajoute-t-il.
"Nous sommes très en colère contre les logisticiens"
Reste la question des coûts de production. L'équation est délicate mais les variables ont changé. "Il y a un vrai sujet depuis le covid avec la question de la logistique, un container coûte aujourd'hui 10 fois plus cher et les prix ne vont pas baisser tout de suite. C'est démesuré, pas toujours justifié et ça peut mettre en difficulté un pays. Nous sommes très en colère contre les logisticiens. C'est une honte, au final, c'est le consommateur qui paie, nous avons ainsi du augmenter nos prix en moyenne de 8%", dénonce-t-il.
Par ailleurs, les salaires des ouvriers en Chine continuent de remonter, "ils sont au niveau des ouvriers portugais", précise le patron.
Il s'agit donc compenser la hausse de ses coûts de production par la baisse de ses coûts de transports et de logistique qui ont explosé avec la crise covid.
Souveraineté
Si ce type de relocalisation a du sens dans le contexte actuel et pour des questions de souveraineté technologique (et aussi parce que Crosccall fournit les forces de l'ordre), elle comporte aussi des risques et pas seulement financiers.
Comme l'expliquait Steve Jobs, le co-fondateur d'Apple à une question de Barack Obama sur la relocalisation de ses usines aux Etats-Unis, il répondait que confier la production en Chine n'était pas une question de coûts mais de réactivité et de souplesse.
Et de mettre en avant les armées d'ouvriers qualifiés qui peuvent être mobilisés rapidement en fonction de la demande du marché, chose impossible aux Etats-Unis, selon lui. Dans un marché des smartphones très mouvant, cette réactivité est en effet essentielle pour maintenir ses parts de marché.