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En cas de conflit, la France sera-t-elle vraiment à court de munitions en quelques jours?

Militaires français près de Bamako, au Mali (image d'illustration)

Militaires français près de Bamako, au Mali (image d'illustration) - -

Un sénateur affirme qu'en cas de conflit de haute intensité, le stock de munitions des armées françaises ne permettrait de tenir que quelques jours. Le ministère des Armées nous explique pourquoi cette situation est improbable.

Le conflit en Ukraine soulève des interrogations dans tous les pays d'Europe sur leur capacité à se défendre en cas d'attaque. En France, la question d'un sous-dimensionnement des armées françaises est soulevée avec en point central les munitions de la balle, aux missiles. En cas de conflit de haute intensité, combien de temps permettrait de tenir le stock?

Pour des raisons stratégiques, les données sur les stocks de munitions sont confidentielles. Mais ce risque est de plus en plus soulevé par des parlementaires. Le 15 mars sur RFI, Christian Cambon, président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, a fait des révélations inquiétantes.

Selon le sénateur LR, la France manque "d'épaisseur" en matière de munitions et ne pourrait donc pas "soutenir un conflit de longue durée". Selon lui, le stock permettrait de tenir au mieux "deux semaines".

"Je ne force pas le trait, je pense même que les informations que j'ai évoquées sont encore optimistes par rapport à la réalité et je pense malheureusement à des munitions spécialisées ou traditionnelles", affirme Christian Cambon.

Péremption des munitions

Ce problème n'est pas nouveau. Il a été soulevé en février, par deux députés, Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, dans un rapport sur la préparation des armées françaises en cas d'engagement de haute intensité remis à la Commission de la défense nationale et des forces armées.

Dans ce long document d'une soixantaine de pages, ils mettent en avant un stock insuffisant, mais aussi la péremption des munitions qui constituent ces réserves.

"Les munitions se périment, notamment la pyrotechnie. Les munitions non utilisées doivent donc être détruites ou rénovées tous les dix ans. Et il faut en moyenne trois ans pour reconstituer des stocks", avancent les députés.

Le rapport Mirallès/Thiériot évoque non seulement un stock qui ne permettrait pas de faire face à un conflit long, mais ils pointent aussi les difficultés industrielles. Le processus d'achat demande de longs mois voire quelques années pour passer de la commande demande à la livraison. Selon une source, il faudrait un an pour des munitions de petits calibres et au moins deux ans pour des obus ou des missiles.

Interrogé pour ce rapport, le directeur général de Nexter confirme que la production d'un obus "prend entre deux et trois ans" et préconise "d’avoir des stocks de munitions, de pièces de rechange dont le temps d’approvisionnement est long (canons d’artillerie) et de pré-contractualiser".

Reste que les industriels de l'armement dépendent de lignes de production conçues pour travailler en flux tendu. Pour produire plus, il faut créer de nouvelles lignes de production.

"D’après les industriels, l’ouverture en urgence de nouvelles chaînes prendrait entre 18 et 36 mois pour la plupart des matériels et équipements et jusqu’à cinq à six ans pour les plus complexes. Prendre certaines mesures dès à présent permettrait de gagner du temps et de l’argent", indique le rapport.

Dissuasion nucléaire et coalition

En cas de conflit la France pourrait-elle perdre une guerre faute de munitions? Le ministère des Armées réfute totalement cette possibilité. Pour Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées, "il est faux de dire que ce problème n'est pas pris en compte".

"On lit en ce moment des choses comme 'il y a trois jours de munitions', ça ne veut rien dire", répond le colonel Ianni, porte-parole du chef d'état-major des armées françaises. "Ça dépend des manœuvres que vous allez monter et la façon dont vous allez manœuvrer qui déterminera la façon dont vous allez consommer vos munitions. Si on met tous nos avions en ligne pour tirer en même temps, on va consommer toutes nos munitions et on ne gagnera pas".

Le colonel Ianni rappelle aussi que "l'armée française est capable de remplir les missions qu'on lui donnera".

"Mais si la France était engagée contre une force importante, type Chine ou Russie on s'inscrira dans le cadre d'une coalition (celle de l'Otan, NDLR). Il y a peut-être des difficultés identifiées, mais d'un point de vue militaire si on nous dit d'y aller, on ira et on montera la manœuvre en fonction de la logistique. Ça vaut aussi pour l'essence et le reste".

Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées a confirmé qu'en cas de conflit de haute intensité, l'action de la France se baserait dans le cadre d'une coalition, mais pas seulement.

"La France est dotée d'une dissuasion nucléaire, c'est le moyen d'éviter des conflits de haute intensité sur le territoire national", indique Hervé Grandjean en ajoutant qu'en 2021 la loi de programmation militaire a été actualisée.
"On a fait un effet supplémentaire en matière de munitions à hauteur de 110 millions d'euros. C'est environ de l'ordre de 10.000 ou plus obus de mortier de 120 mm, d'obus de 100 mm ou 76 mm pour la marine". On a aussi relancé une filière industrielle de munitions de gros calibre suite à des difficultés que rencontrait cette filière à l'export. On ne peut donner le détail de ces informations classifiées", a répondu à BFM Business Hervé Grandjean.

Les interrogations du public provoquées par les déclarations de parlementaires ont conduit le porte-parole du ministère des Armées à donner plus de détails sur les investissements de la France pour les munitions. Dans un long message sur Twitter, il explique les budgets consacrés à ces postes et le type de munitions concernées. Hervé Grandjean rappelle aussi que "la remontée en puissance de nos stocks de munitions s’apprécie à l’aune d’un contexte d’emploi".

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco