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Combien faut-il payer pour s'offrir un billet vers l'espace?

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Après Richard Branson, c'est au tour de Jeff Bezos de s'envoler dans une fusée Blue Origin, ce mardi. Le tourisme spatial est bel et bien lancé, mais il restera inabordable pendant de longues années. Passage en revue de l'offre actuelle.

Voilà désormais 20 ans que l'espace a accueilli son premier touriste. Pour 20 millions de dollars, l'Américain Dennis Tito s'était envolé le 28 avril 2001 au sein d'un lanceur russe Soyouz pour quelques jours d'apesanteur dans la station spatiale internationale.

A l'époque, cette annonce ne faisait pas consensus. Les agences publiques faisaient la loi dans l'espace et on ne mélangeait pas la science et le loisir, même pour un milliardaire prêt à payer au prix fort son billet vers les étoiles. En réalité, ce ne fut d'ailleurs pas une partie de plaisir pour Dennis Tito, qui a subi un entrainement rude et un voyage très loin du confort d'une première classe. Ce vol inaugural sera suivi par six autres pour emmener des "touristes" fortunés dans l'espace.

Mais le 11 juillet dernier, le patron de Virgin Richard Branson entamait un virage majeur du tourisme spatial et une "nouvelle ère" avec sa navette SpaceShipTwo, capable d'atteindre les 80 kilomètres d'altitude le temps d'observer la courbure de la Terre. Ce mardi, c'est au tour de Jeff Bezos d'embarquer dans la fusée de sa compagnie Blue Origin. Les deux milliardaires n'ont désormais qu'une obsession: proposer des voyages spatiaux au plus grand nombre et enchainer les allers-retours entre la Terre et le ciel.

Mais pour rendre ces décollages "abordables", ils ont dû un peu freiner leurs ambitions. Dans les deux cas, le futur touriste de l'espace atteindra la ligne de Karman, située à une centaine de kilomètres de la Terre et considérée comme la porte d'entrée vers l'espace. Plus que des vols dans l'espace, il s'agit donc plutôt de vols suborbitaux avec une vitesse trop faible pour échapper à l'attraction terrestre et se retrouver en orbite. Aller plus haut serait bien plus coûteux en énergie tant pour y aller que pour en revenir.

Le vol de Blue Origin
Le vol de Blue Origin © Cléa PÉCULIER © 2019 AFP

D'autant que les prix, s'ils ne rivalisent pas avec les sommes astronomiques d'un voyage sur la station spatiale internationale (400 km d'altitude), restent hors de portée du commun des mortels.

Initialement, le voyage proposé par Virgin Galactic devait coûter 200.000 dollars par passager, avant d'être fixé à 250.000 dollars pour les pré-réservations. Un prix d'appel. Après le succès du vol inaugural, la compagnie promet des vols quotidiens pour les années à venir. Autre promesse de l'entreprise: les tarifs vont augmenter. Combien? Virgin Galactic a promis à ses investisseurs un chiffre d'affaires d'un milliard de dollars par "port spatial". Selon les calculs de l'analyste d'UBS Myles Walton, il faudrait un ticket à 400.000 dollars au moins pour atteindre cet objectif.

Pour ce prix, les touristes auront droit à un voyage d'environ 90 minutes au total pour quelques minutes en apesanteur près de la courbure de la Terre.

Les prix vont baisser... mais quand?

Du côté de Blue Origin, le billet mis aux enchères pour le premier voyage a atteint la somme de 28 millions de dollars. Rien à voir, évidemment, avec les futurs prix même si le fondateur d'Amazon se garde encore de publier la grille tarifaire. Néanmoins, le premier succès de Virgin Galactic devrait probablement forcer la compagnie rivale à harmoniser ses prix pour rester compétitive sur ce marché de niche. Le voyage s'annonce plus court (11 minutes) car Blue Origin utilise un lanceur vertical et une trajectoire plus directe. Mais là encore, vous aurez droit à quelques minutes près de l'espace.

Reste enfin un dernier acteur du marché, Elon Musk. Ce dernier a déjà réservé une place dans un futur voyage de Virgin Galactic mais garde aussi des ambitions pour le tourisme spatial. En septembre prochain, une fusée Falcon 9, légèrement modifiée, emmènera un équipage uniquement composés de civils (dont des anciens militaires) pour un voyage de 72h en orbite, à plus de 500 km d'altitude. Si ce vol, financé par un pilote et homme d'affaires (aux commandes de la navette) aura un but caritatif, il augure aussi d'un tourisme encore plus sélectif avec des places à plusieurs millions de dollars.

Bonne nouvelle, les prix vont baisser. Richard Branson y croit et vise un ticket d'entrée entre 40.000 ou 50.000 dollars au cours de la prochaine décennie pour les vols suborbitaux. Encore faut-il parvenir aux économies d'échelle indispensables pour faire baisser la note. Multiplier le nombre de passagers dans une navette implique toujours plus d'énergie et donc des coûts supplémentaires. Mais une fois les navettes sorties d'usine et les "ports spatiaux" installés, le billet pourra effectivement décroitre.

Enfin, il faudra aussi s'assurer que la demande ne s'épuise pas au bout de quelques années. Virgin réfléchit déjà à des vols suborbitaux qui relieraient deux points du globe. Mais cela nécessite d'adapter la technologie actuelle, déjà balbutiante. Dans une note à ses clients institutionnels datée de 2019, UBS évoquait pour 2030 des billets à 2500 dollars pour traverser la planète à vitesse record, tout en flirtant avec l'espace. Une fourchette bien trop basse pour la plupart des observateurs, à multiplier par 10 ou 15 au bas mot.

Les ballons comme alternative?

En attendant, des alternatives se développent avec une technologie moins ambitieuse qu'une fusée: le ballon-sonde. De Space Perspective à Zephalto, de nombreuses entreprises développent des montées à environ 25 km d'altitude. On est loin des frontières de l'espace mais déjà avec une vue imprenable sur la planète bleue, proche de celle admirée par le sauteur Felix Baumgartner. Space Perspective prévoit des premiers séjours tranquilles, façon croisières (6 heures pour monter et descendre, petit-déjeuner inclus), en 2024 pour 110.000 euros le billet. Le Français Zephalto espère aussi être opérationnel dans trois ans avec des prix similaires.

En attendant des baisses de prix, il est possible de connaître la sensation de l'apesanteur dans un vol "Zero G" de Novespace. L'entreprise permet de gouter à cette sensation en faisant plonger un Airbus A310 dans le ciel. Prix de l'expérience: 6000 euros…

Thomas Leroy Journaliste BFM Business