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Un hiver sous tension: comment la France va gérer une pénurie d'énergie

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Les alertes se multiplient sur les risques de manque de gaz ou d'électricité dès les premiers mois d'hiver. Voici, concrètement, comment le pays se prépare à une telle éventualité.

Il est 8 heures, ce 19 décembre 1978. Les températures ont brutalement chuté en France et l'hexagone, pour fournir ses habitants en électricité, doit importer du courant allemand. Rien d'inédit: les voisins européens viennent régulièrement apporter les mégawatts nécessaires pour assurer les pics de tension et éviter les coupures.

Mais ce jour-là, c'est la surtension. Et les techniciens ont une vingtaine de minutes pour rééquilibrer le réseau en puisant dans les réserves hydrauliques, en coupant temporairement certains quartiers ou même en appelant simplement à la radio les Français à éteindre quelques lumières pour la matinée.

Mais à force de ne pas décider. La ligne Bézaumont-Creney, dans le Grand Est, disjoncte. En quelques minutes, c'est l'effet domino. La surtension allemande fait tomber toutes les lignes secondaires. C'est le black-out général pour une grande partie de la France. Le courant ne reviendra que quelques heures plus tard.

Convergence de mauvaises nouvelles

Cette coupure généralisée est la dernière en France. Et déjà en cette fin des années 1970, EDF promettait quelques hivers difficiles "jusqu'en 1984-1985".

Un avertissement qui résonne avec la période actuelle où RTE, le gestionnaire du réseau électrique, s'inquiète, chaque année, à l'arrivée des premiers frimas.

"Les marges sont faibles en raison d’une disponibilité dégradée du parc nucléaire, du retard de l’EPR de Flamanville et des retards accumulés sur les nouveaux moyens de production renouvelables" alertait RTE sans on bilan prévisionnel 2021-2030.

Et c'était avant la guerre en Ukraine.

En ce début d'été, les spécialistes de l'énergie s'inquiètent désormais de l'hiver prochain. Dans le JDD, les grands énergéticiens (EDF, Engie et TotalEnergies) ont appelé les Français à la sobriété. Car, plus que les autres années, la convergence des mauvaises nouvelles en 2022 laisse entrevoir de véritables pénuries d'énergie en Europe et donc en France.

Premier facteur: la guerre en Ukraine qui fragilise considérablement les importations en gaz. Même si la France importe peu de Russie, ses voisins sont beaucoup plus exposés et pourraient réclamer l'aide de Paris. Mécaniquement, la baisse de la consommation de gaz va amplifier celle de l'électricité. Sauf que le parc nucléaire, fleuron tricolore, est bien mal en point. Après des problèmes de corrosion détectés, les arrêts de centrales vont se multiplier pour assurer les travaux nécessaires.

"Cet hiver va être difficile à passer voire même peut-être cet automne" résumait début juin sur BFM Business Nicolas Goldberg, Senior Manager Energie chez Colombus Consulting. "Mais cela va dépendre de la météo."

Anticiper le black-out

Un hiver doux devrait permettre à la France de s'en sortir avec ses capacités actuelles. Mais il existe un scénario noir, celui un hiver rigoureux combiné à une absence de vent qui laisserait les éoliennes au chômage technique. Avec une règle: chaque degré perdu entraîne une hausse de 2,4 GW de la consommation d'électricité, au risque d'atteindre rapidement la capacité maximale du pays

En réalité, il est très difficile d'anticiper la situation de l'hiver prochain. RTE travaille actuellement sur des études prévisionnelles mais les "incertitudes liées à la situation actuelle ne permettent pas de sortir des résultats pertinents avant l’automne prochain" indique le gestionnaire du réseau.

Alors, déjà, la France se prépare au pire avec un objectif précis: éviter le black-out.

En pratique, RTE a des marges de manœuvre, appelés "leviers post-marché" pour prévenir la pénurie. La première phase consiste a appelé les particuliers à réduire leur consommation via des gestes éco-citoyens. Ils permettent d'économiser quelques centaines de mégawatts.

Coupures chez les particuliers

Deuxième phase, des coupures de courant pour quelques 22 sites industriels, qui ont accepté (contre rémunération) des coupures temporaires pendant leur activité. Puis vient la baisse de tension du réseau, de l'ordre de 5%, pour quelques heures.

Enfin, RTE peut finalement décider, en dernier recours, des coupures localisées chez les particuliers.

Concrètement, aucun foyer ne peut voir son électricité coupée plus de deux heures, soit le matin (entre 8h et 13h) soit le soir (entre 17h30 et 20h30) lorsque la tension atteint son pic. De la même façon, pas question de couper une ville entière, puisque les "délestages" seront effectués à tour de rôle. A noter que les usager sensibles (hôpitaux, sécurité, Défense nationale, industrie à risque…) ne seront pas concernés.

L'enjeu est donc de rendre ces coupures les plus anodines possibles, d'autant qu'il ne faudra pas forcément compter sur les voisins européens si le froid gagne l'Europe.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business