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"Un coût supérieur aux anticipations": pourquoi la filière hydrogène peine à décoller

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A l'occasion du salon Hyvolution à Paris, les acteurs des mobilités à l'hydrogène ont lancé un appel à d'importants investissements afin de déployer à grande échelle les technologies mises au point.

Florissante et dynamique juste avant la crise énergétique, la filière de l'hydrogène semble marquer le pas aujourd'hui. Réunis à Paris à l'occasion de la 8e édition du salon Hyvolution consacré à cette énergie, plusieurs acteurs oeuvrant pour son intégration dans les différents modes de transports dressent le même constat: de nombreuses technologies sont déjà disponibles mais les investissements manquent toujours pour les déployer à grande échelle.

"Nous devons désormais pousser au-delà de cette étape pilote, estime Madadh Maclaine de Zero Emissions Maritime Technology, un projet pour décarboner le secteur maritime.

"Ce n'est pas une transition mais une transformation qui doit impliquer tous les acteurs."

Dans le monde entier, des volumes considérables d'hydrogène, parfois dit "vert", "renouvelable" ou "bas-carbone", sont nécessaires pour décarboner l'industrie lourde ainsi que des pans entiers du transport, maritime ou aérien notamment. "La régulation européenne cible particulièrement ces deux modes de transport car leurs besoins de décarbonation sont les plus importants", souligne Diane Strauss de l'ONG Transport & Environnement (T&E).

Tout un écosystème à développer

En Europe, l'hydrogène vert est jugé stratégique par la plupart des grands acteurs du secteur, notamment pour respecter les engagements climatiques de l'Union européenne. Ceci suppose entre autres l'installation en amont d'usines fabriquant les électrolyseurs ou les composants, et, en aval, d'usines fabriquant les stations de recharge pour les véhicules à hydrogène, ainsi que la création de réseaux d'acheminement de l'hydrogène qui devra être importé de l'étranger.

La problématique est particulièrement visible pour le transport routier. "Nous avons besoin des infrastructures pour nous fournir en hydrogène, si possible vert et abordable et pour que ces infrastructures soient présentes, nous avons besoin d'un soutien financier", rappelle Volker Hasenberg de l'entreprise Daimler Truck. Mi-novembre, le leader mondial de la production de camions a reçu une subvention de 226 millions d'euros pour produire 100 camions à hydrogène, livrables dès l'année prochaine.

"L'enjeu est de combiner nos efforts, pas que les stations d'hydrogène viennent avant les camions à hydrogène: il faut que cela se fasse en même temps", ajoute Florentin de Loppinot, patron de Teal Mobility.

Issue de la collaboration entre Totalenergies et Air Liquide, l'entreprise développe un réseau de stations hydrogène pour les poids lourds en Europe. En amont de la chaîne, Linde met au point des solutions pour produire de l'hydrogène, et collabore notamment avec Daimler Truck, mais son représentant Philippe Heisch reconnaît des difficultés à "prévoir le prix de la molécule": "Il y a une perturbation du marché qui fait que ce n'est pas très sécurisé d'investir dans la mobilité hydrogène actuellement."

On refait la séance : "Investir dans l'IA et l'hydrogène" – 29/11
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Or, la visibilité est cruciale et conditionne le financement de la filière comme l'indique Germain Hurtado, directeur des technologies et projets chez Vinci Concessions: "Nous avons besoin de camions, d'équipements et de nombres pour faire en sorte que ce marché et ces investissements se réalisent et pour assurer les investisseurs que le marché sera encore là dans une vingtaine d'années."

Augmenter les capacités de production d'électricité bas carbone

L'autre solution est la création ex-nihilo d'une filière industrielle qui nécessite outre de gigantesques capitaux, une alimentation massive en électricité bas carbone, et pour laquelle la Chine a déjà pris une longueur d'avance. Outre-Atlantique, le territoire américain regorge de zones géographiques présentant un fort potentiel d'implantation d'énergies renouvelables.

"Rien que le Dakota du Nord pourrait subvenir aux besoins électriques de tous les États-Unis en y installant des éoliennes", estime Josef Kallo de l'entreprise H2Fly qui souhaite notamment relier les grandes villes de la côte est du pays avec des avions à hydrogène.

La méthode historique de production de l'hydrogène industriel, dite de "réformage de méthane à la vapeur" qui constitue plus de 95% de la production mondiale est très dommageable pour l'environnement et fortement émettrice de gaz à effet de serre. La production totale d'hydrogène en 2023 s'est ainsi accompagnée de l'émission de presque 920 millions de tonnes de CO2, soit l'équivalent des émissions annuelles combinées de l'Indonésie et de la France, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Aussi pour fabriquer de l'hydrogène vert, il faut changer de méthode et passer par l'électrolyse de l'eau pour séparer l'hydrogène de l'oxygène contenus dans la molécule d'eau (H20), avec de l'électricité. A condition aussi que l'électricité soit elle-même vertueuse sur le plan climatique, produite par des sources d'énergie faiblement émettrice de CO2 comme l'énergie solaire, éolienne, hydro-électrique ou nucléaire.

L'argent reste le nerf de la guerre

Mais des doutes s'accumulent, notamment au sujet de la compétitivité de l'hydrogène vert. Selon une étude publiée mi-janvier par l'Institut de Potsdam pour l'impact climatique (PIK), les problèmes de la montée en puissance d'une filière industrielle de l'hydrogène vert peuvent être attribués à trois sources: l'augmentation des coûts, un manque de volonté des clients de payer l'hydrogène vert plus cher que l'hydrogène gris issu du vapo-réformage, et des incertitudes sur le montant des soutiens publics.

"L'objectif est de mettre l'ensemble des acteurs au sein d'un seul et même écosystème, insiste Lionel Boillot, chargé de projet au sein du Clean Hydrogen Partnership. Ce n'est pas facile et parfois les décisions d'investissement financier ne sont pas prises."

Ce partenariat public-privé soutient les activités de recherche et d'innovation dans les technologies de l'hydrogène en Europe. Selon le cabinet de conseil EY, moins de 3% des projets d'infrastructures d'hydrogène annoncés en Europe ont obtenu un feu vert final pour l'investissement en 2024, ce qui représente environ 300.000 tonnes d'hydrogène décarboné sur les 10 millions de tonnes que l'Union européenne a prévu de produire d'ici 2030.

"Le coût de l'hydrogène est supérieur à celui anticipé il y a quelques années et l'hydrogène vert est difficile à obtenir", admet de son côté le docteur Steffen Moeller-Holst de la société de recherche Sintef.

Au plan mondial, le PIK a calculé que des subventions de 1.000 milliards de dollars sont nécessaires pour réaliser tous les projets annoncés d'ici 2030, selon un des chercheurs Falko Ueckerdt, responsable de l'étude qui recommande la fixation de quotas pour booster le démarrage de la filière. L'un des secteurs les plus prometteurs en Europe reposerait ainsi sur les carburants synthétiques pour l'aviation: à partir de 2030, 1,2% de tous les carburants aériens doivent avoir des carburants synthétiques basés sur l'hydrogène dans leur composition. Ce pourcentage devrait passer à 35% d'ici 2050, soulignent les chercheurs.

Timothée Talbi avec AFP