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TOUT COMPRENDRE - Les pistes de réforme pour le mécanisme des prix de l'électricité dans l'UE

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Face à la flambée des cours du gaz et donc de l'électricité, les ministres européens de l’Énergie se retrouveront ce vendredi à Bruxelles pour engager "une réforme structurelle du marché" de l'électricité dont le mécanisme de fixation des prix est aujourd'hui vivement critiqué.

Il y a urgence à réformer le mécanisme de fixation des prix de l'électricité en Europe. Le consensus est aujourd'hui presque total dans l'UE alors que les prix de gros de l'énergie atteignent aujourd'hui de nouveaux records faisant planer le spectre de factures stratosphériques pour les consommateurs.

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a ainsi promis "une réforme structurelle du marché" européen de l'électricité conçu dans les années 1990. Des changements, réclamés de longue date par la France, qui seront au menu d'une réunion des ministres de l’Énergie de l'UE ce 9 septembre à Bruxelles.

"La flambée des prix de l'électricité montre clairement les limites du fonctionnement actuel du marché. Celui-ci avait été conçu dans un contexte très différent", souligne la responsable.

Les prix de l'électricité sur le marché de gros suivent ceux des matières premières. Ils s'alignent donc sur la flambée des cours du gaz, qui assure aujourd’hui 20% de la production électrique de l’Union européenne, mais également sur l’augmentation du prix de la tonne de CO2 sur le marché du carbone européen.

Comme une large partie de l’électricité est, dans l’Union européenne des 27, produite avec des énergies fossiles (près de 20% avec du gaz et 13% avec du charbon), toute augmentation des prix du gaz, du charbon et du CO2, se répercute mécaniquement sur le coût de production de l’électricité.

Comme l’électricité ne se stocke pas, son prix est déterminé en Europe par les coûts de la dernière centrale activée appelée pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande et donc la plupart du temps une centrale thermique qui fonctionne au charbon ou au gaz. C'est ce qu'on appelle la vente au coût marginal.

"Ce qui fait le prix de gros de l'électricité, ce n'est pas le coût moyen de toutes les centrales de production que l'on a démarrées, c'est le coût de la dernière centrale dont on a besoin pour équilibrer le réseau", résume à à l'AFP Julien Teddé, directeur général du courtier Opéra Énergie.

Ce coût marginal s'est envolé de concert avec la flambée des cours du gaz liée à la baisse drastique des livraisons gazières russes à l'Europe, dans le contexte de guerre en Ukraine.

Le paradoxe est d'autant plus prégnant en France où le mix électrique est décarboné à près de 90% et où les prix ont suivi et même dépassé ceux des autres marchés européens. La mise à l'arrêt de 32 des 56 réacteurs nucléaires d'EDF, notamment pour des problèmes de corrosion, explique le recours de la France au marché de gros européen.

• Faut-il passer à une moyenne des coûts marginaux?

Si la plupart des pays de l'UE sont d'accord pour dire que le système est en échec, les scénarios de nouveaux mécanismes restent finalement assez peu nombreux.

Une des pistes serait de s'appuyer sur une moyenne des coûts marginaux plutôt que sur le coût marginal de la dernière infrastructure thermique mise en route. Ce qui permettrait de lisser les prix à l'achat et donc réduire la facture du consommateur.

Mais comme le rappelle La Tribune, cette idée est rejetée par l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) qui met en avant un risque de distorsion de la concurrence. Un tel dispositif pourrait "freiner les investissements du secteur privé" dans les technologies innovantes à faible émission de carbone estime cette agence.

Par ailleurs, il s'agirait d'une mesure avant-tout conjoncturelle comme nous explique Quentin Guillet-Thomé, consultant pour Oresys: "C'est une piste qui n'est pas à écarter complètement mais ce n'est pas structurel en terme de réforme. Il faudra en plus définir des seuils pour que chacun y trouve son compte en toutes circonstances et c'est compliqué à mettre en place".

• Faut-il fixer un prix maximum européen et découpler gaz et électricité?

C'est l'idée défendue notamment par le Premier ministre belge Alexander De Croo. Il estime qu’il faut "intervenir et reprendre le contrôle du marché (...) en fixant un prix (de gros) maximum que nous sommes prêts à payer pour le gaz et l’électricité", prix fixé par l'Union européenne.

Il s'agirait donc pour maintenir un prix raisonnable de "découpler le prix de l’électricité de celui du gaz" comme le demandent la Grèce, l'Italie, l'Autriche et la France.

Selon le chancelier autrichien, ce découplage sera au menu des pourparlers du jour. La Grèce propose ainsi de scinder les marchés de l’électricité en deux, en mettant dans un premier panier les énergies renouvelables, le nucléaire et l’hydroélectricité, et dans un second les combustibles fossiles.

En retour, les Etats membres pourraient "engranger des recettes financières supplémentaires" (différentes dans chaque pays selon son mix énergétique), qu'ils pourraient utiliser pour soutenir les consommateurs les plus vulnérables: aides directes, tarifs réglementés, réductions des factures d'électricité.

• Faut-il réformer les modes d'approvisionnement?

Dans leurs achats et ventes d'électricité, les pays membres peuvent opter pour le "marché spot" qui permet l’achat ou la vente d’électricité pour livraison le lendemain ou le jour même ou le marché "à terme" qui permet de sécuriser des volumes pour des périodes plus lointaines (jusqu'à trois ans) avec des livraisons mensuelles, trimestrielles, ou annuelles.

Dans une tribune publiée par Le Monde, l’avocat Guillaume Dezobry et l’expert en transition énergétique Pierre-Albert Langlois estiment que "la Commission européenne et les Etats membres ont donné aux marchés spot et à terme un rôle disproportionné: en en faisant le point focal du système électrique, cela a conduit à des dysfonctionnements qui peuvent être corrigés".

Ils préconisent la mise en place de "Power Purchase Agreement" (PPA pour contrats d’achat d’électricité) qui sont des contrats d’achat directement conclus entre un producteur et un consommateur ou un fournisseur généralement à long terme et à prix fixe.

"Ces contrats de long terme sont cohérents avec les durées d’amortissement des nouvelles installations, notamment renouvelables. (...) Ces contrats offrent une solution commune aux producteurs et aux consommateurs, particuliers comme industriels. Ils allouent aux producteurs un revenu à long terme, facilitant in fine investissement et financement pour de nouvelles installations. D’autre part, les PPA permettent aux consommateurs de s’approvisionner en électricité à long terme, à prix connus et stables tout au long du contrat" expliquent les deux experts.

• Faut-il généraliser les tarifs réglementés?

C'est une des pistes de la Commission européenne avec le découplage. "Moins de la moitié des États utilisent des tarifs réglementés, tandis que l'aide directe aux revenus reste l'instrument le plus utilisé dans l'UE pour soutenir les ménages", note Bruxelles dans un document préparatoire.

La Commission veut "fournir un plus grand degré de sécurité juridique pour étendre les tarifs réglementés (...) notamment avec la possibilité d'une dérogation claire (aux règles européennes) pour couvrir également les PME".

En revanche, l'exécutif européen se dit défavorable à un plafonnement indifférencié des prix de détail pour tous les consommateurs, "une mesure politique interventionniste qui risque de fausser les marchés" et de coûter cher aux Etats. "Dès qu'on définit des tranches, on a une usine à gaz", estime Quentin Guillet-Thomé.

• Quel calendrier?

La réforme est désormais "sur les rails (...) On est dans un tel pic des prix que ça ouvre un espace politique", même si une réforme ne sera pas nécessairement "spontanément consensuelle", observe un diplomate européen. "La Commission devrait lancer une étude d'impact à l'automne, on peut espérer une proposition en début d'année prochaine", selon lui.

• Des réformes insuffisantes?

Pour certains experts, la réforme du mécanisme européen de fixation des prix n'aura des effets qu'à la marge. Le coeur du problème serait avant tout physique. Pour réduire l'influence des énergies fossiles sur le prix de l'électricité, il faudrait simplement mais massivement investir dans de nouveaux moyens de production considérés comme verts.

"La vraie solution est en effet d'augmenter les capacités et/ou de baisser la consommation. C'est la seule voie à suivre pour favoriser les investissements et les systèmes de stockage" abonde Quentin Guillet-Thomé, consultant pour Oresys.

Problème: la distorsion entre d'un côté l'urgence de la situation et le temps nécessaire, très long, pour déployer ces nouvelles sources de production. "Les mesures à court-terme doivent permettre de satisfaire la demande, c'est le premier défi, c'est le premier besoin" ajoute le consultant.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business