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TOUT COMPRENDRE - Gazoduc Finlande-Estonie: le "Balticconnector" est-il un nouvel épisode NordStream?

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Près d'un an jour pour jour après l'incident du gazoduc NordStream, le "Balticconnector" qui approvisionne la Finlande en gaz naturel depuis l'Estonie a dû fermer en raison d'une suspicion de fuite.

Le gestionnaire du réseau gazier finlandais a annoncé dimanche la fermeture du gazoduc venant d'Estonie en raison d'une suspicion de fuite, rendant inopérant le dernier gazoduc en service de la Finlande après l'arrêt des importations russes. Gasgrid, entreprise d'État, a constaté "une baisse inhabituelle de la pression" dans le gazoduc vers 2 heures du matin (samedi 23h GMT) et "soupçonne une fuite", a-t-elle expliqué dans un communiqué.

L'incident n'est pas sans rappeler celui survenu sur le gazoduc Nord Stream il y a tout juste un an. Le 26 septembre 2022, quatre énormes fuites de gaz précédées d'explosions sous-marines s'étaient produites sur Nord Stream 1 et 2, conduites qui acheminaient l'essentiel du gaz russe vers l'Europe. Aucune des trois enquêtes judiciaires ouvertes séparément par l'Allemagne, la Suède et le Danemark n'a encore abouti. Plusieurs pays, dont la Russie, l'Ukraine et les Etats-Unis, ont été accusés d'en porter la responsabilité mais tous s'en sont défendus.

•Quelle est l'étendue des dégâts sur "Balticconnector" ?

Gasprid a rapidement annoncé qu'elle enquêtait sur le problème en collaboration avec son homologue estonien, Elering. Les enquêteurs finlandais n'ont pas relevé d'indices d'utilisation d'explosifs mais l'institut norvégien de sismologie Norsar a "détecté une explosion probable au large de la côte finlandaise de la mer Baltique à 1h20 (22h20 GMT) le 8 octobre 2023".

Le câble de télécommunication accompagnant le gazoduc a été dégradé dans les eaux de l'Estonie, ont précisé mardi des responsables de ce pays balte, au cours d'un point de presse. Outre le gazoduc, une "perturbation" affecte en effet le câble de télécoms sous-marin reliant la Finlande et l'Estonie via le golfe de Finlande mais aucun client n'était touché, selon l'opérateur de télécoms Elisa. La marine estonienne enquête sur les dommages causés à ce câble, selon les autorités de l'Estonie. La cause de la fuite sur le gazoduc n'est pas encore claire et "l'enquête se poursuit, en coopération entre la Finlande et l'Estonie", a dit mardi le président finlandais.

"L'ampleur des dommages est telle qu'ils ont dû être causés par une force, qui n'était pas, par exemple, un plongeur ou un petit robot sous-marin, les dommages sont plus massifs", a dit quelques heures plus tard le ministre estonien de la Défense, Hanno Pevkur, au cours d'une conférence de presse.

Mercredi, l'unité de la police finlandaise chargée de l'enquête a apporté des précisions, estimant que les dommages causés au gazoduc avaient probablement été provoqués par une "force mécanique et non une explosion". Le responsable du Bureau national d'enquêtes (NBI) Risto Lohi n'a pas voulu entrer dans les détails, se contentant d'indiquer qu'"aucune hypothèse n'était exclue", concernant l'origine de cet incident.

•La Russie est-elle impliquée ?

Mis en service en 2019, le gazoduc fermé dimanche, appelé "Balticconnector", est le seul canal d'importation de gaz vers la Finlande (en dehors du GNL) depuis l'arrêt des importations russes en mai 2022. La Russie a cessé de fournir du gaz naturel à la Finlande par gazoduc après que le pays scandinave a refusé de payer Moscou en roubles. A la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Moscou a demandé aux clients des "pays non amicaux", y compris les États membres de l'Union européenne, de payer le gaz en roubles, une manière d'éviter les sanctions financières occidentales contre sa banque centrale.

La Finlande a annoncé mardi qu'elle soupçonnait qu'une intervention extérieure était à l'origine de la fuite sur le gazoduc connecté à l'Estonie et a reçu le soutien de l'Otan dans son enquête. "Il est probable que les dommages causés au gazoduc et au câble de télécommunications résultent d'une activité extérieure", a déclaré le président finlandais Sauli Niinistö dans un communiqué. Interrogé sur une possible implication de la Russie, le Premier ministre finlandais Petteri Orpo a mis en garde contre toute conclusion prématurée. "Il est important d'enquêter de façon approfondie et de rassembler toutes les informations disponibles, et de ne pas tirer de conclusions hâtives à ce stade", a-t-il dit lors d'une conférence de presse.

"Il n'y a pas d'indications (pour dire) que des explosifs ont été utilisés", a dit de son côté Timo Kilpeläinen, le responsable des enquêtes au Bureau national d'enquêtes (NBI).

Mercredi, les autorités finlandaises ont exhorté les entreprises et organismes en charge d'infrastructures critiques à relever leur niveau de préparation et de surveillance. "Les dommages portés aux infrastructures critiques, causés de façon probablement intentionnelle, sont une question très grave", a relevé Janne Kankanen, le patron de l'agence publique chargée de l'approvisionnement en biens essentiels.

•Quelle est la position de l'Otan ?

La Finlande a reçu l'appui de l'Otan, dont elle est devenue membre en avril après des décennies de neutralité. Le secrétaire général de l'Alliance, Jens Stoltenberg, a dit être en contact avec le président finlandais et être prêt à soutenir le pays. "L'Otan partage les informations et se tient prête à soutenir les Alliés concernés", a-t-il écrit mardi sur X (ancien Twitter). L'Alliance rappelle en outre qu'elle "s'emploie à renforcer la sécurité des infrastructures sous-marines." "La chose importante maintenant est d'établir ce qui s'est passé et comment cela a pu se passer", a-t-il déclaré le lendemain lors d'une réunion des pays membres de l'Alliance à Bruxelles.

"S'il est prouvé qu'il s'agit d'une attaque délibérée à l'encontre d'une infrastructure essentielle de l'Otan, alors évidemment ce sera très sérieux, et cela produira une réponse unie et déterminée de la part de l'Otan."

La veille, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déclaré qu'elle "condamnait fermement tout acte de destruction délibérée d'infrastructure essentielle", après des entretiens avec les Premiers ministres finlandais et estonien. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a quant à lui apporté "tout son soutien et sa solidarité" aux deux pays touchés et a souhaité "une enquête complète", dans un message sur X.

•Quand le gazoduc sera-t-il de nouveau opérationnel ?

Quelques heures après l'incident, Gasgrid a assuré être en mesure de préparer "des plans de réparation" et un calendrier des travaux une fois l'origine de la fuite établie. Mercredi, le gestionnaire du "Balticconector" a estimé que les travaux de réparation du gazoduc que relie la Finlande à l'Estonie prendraient "au moins cinq mois", ajoutant que l'installation ne pourrait pas être à nouveau opérationnelle avant au moins le mois d'avril.

"Sur la base d'expertises préliminaires (...), la préparation des travaux de réparation, la mobilisation des équipements sous-marins nécessaires" et la réparation en elle-même ainsi que la remise en service "dureront au moins cinq mois", a en effet expliqué mercredi dans un communiqué l'entreprise publique.

Dès dimanche, la société finlandaise a assuré que le système gazier finlandais était stable, l'approvisionnement en gaz étant assuré par le biais d'un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) flottant à Inkoo (sud). Le gaz naturel représente environ cinq pour cent de la consommation d'énergie de la Finlande, principalement utilisé dans l'industrie et la production combinée de chaleur et d'électricité.

Timothée Talbi avec AFP