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Réchauffement climatique: la production électrique française est-elle menacée?

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L'été 2022 a rappelé les risques que peut faire peser le réchauffement climatique sur la production électrique française. Si ces risques paraissent relativement contenus à terme, ils incitent EDF à veiller à la résilience de ses différentes installations.

À la fin du mois de mars, Emmanuel Macron a présenté le "plan eau" qui vise à instaurer une consommation plus sobre de la ressource et à la répartir efficacement entre les différents usages. En moyenne annuelle sur la période 2010-2019, les centrales électriques ont consommé la moitié des 32,8 milliards de mètres cubes d'eau prélevés dans le cadre de leur refroidissement. Cependant, une grande partie de cette eau prélevée est restituée, si bien que la consommation nette de la filière nucléaire ne représente en réalité que 12% des quelque 4 milliards de mètres cubes d'eau douce effectivement consommés chaque année entre 2010 et 2019 dans l'Hexagone.

Si la filière nucléaire n'est donc pas le plus gros consommateur net d'eau en France, les différentes infrastructures produisant de l'électricité pourraient voir leurs besoins hydriques perturbés par les phénomènes liés au réchauffement climatique qui sont amenés à se multiplier et s'intensifier dans les décennies à venir.

Malgré sa singularité, l'été 2022 a prouvé qu'une agrégation de circonstances - de faibles précipitations et un parc nucléaire partiellement à l'arrêt - pouvait menacer la production électrique française. De quoi inciter EDF à tenir compte du risque climatique pour adapter la consommation d'eau de ses infrastructures, existantes et futures.

Baisse sensible du débit des fleuves d'ici la fin du siècle

Fondateur de Callendar, une start-up spécialisée dans les risques climatiques, Thibault Laconde rappelle que le risque existe déjà bien qu'il soit à relativiser: "On a des exemples tous les ans de baisse contrainte de la production des centrales mais on n'a pas vraiment eu de problème à part en 2003 et l'année dernière. Les projections jusqu'en 2050 montrent une aggravation de la problématique sans qu'elle devienne majeure."

EDF estime ainsi que les pertes de production pour raison environnementale ne représentent qu'une moyenne d'à peine 0,3% de la production annuelle du parc nucléaire au 21ème siècle. Cependant, le réchauffement climatique assèche les fleuves, ce qui pose la question de l'alimentation en eau des réacteurs en bord de rivière à long terme.

"Depuis une cinquantaine d'années, le Rhône a perdu 6% de son débit car il y a moins de pluie mais aussi moins de neige en amont avec la fonte, indique Jacques Percebois, spécialiste de l'économie de l'énergie. Certains spécialistes disent qu'on pourrait avoir une baisse de 20% de débit sur les fleuves européens dans les 3-4 prochaines décennies."

Ces perspectives interpellent alors que 38 des 56 réacteurs français se situent en bord de rivière et qu'une grande majorité, 30 d'entre eux, fonctionnent en circuit fermé. Dans cette configuration, 10 litres d'eau sont prélevés par kWh mais seuls 77% sont rendus au milieu naturel alors que les centrales en circuit ouvert prélèvent 170 litres d'eau par kWh mais en restituent la totalité d'après les données d'EDF.

Or, l'énergéticien estime que des changements de circuit constitueraient des modifications substantielles de grande envergure. "Cela conduirait à remanier l’ensemble du système de fonctionnement de la centrale et impliquerait une pause dans la production d’électricité des sites", explique Cécile Laugier, directrice Environnement au sein de la Division Production Nucléaire (DPN).

Des modifications réglementaires pour cinq centrales en 2022

EDF a déjà entrepris d'adapter ses centrales existantes au évolutions climatiques à court terme, qu'il s'agisse des épisodes de caniules ou du phénomène de sécheresse. Depuis 2003, un plan grand chaud a ainsi été déployé sur le parc et a permis d'améliorer la performance des systèmes de refroidissement pour qu'ils consomment moins d'eau. Par ailleurs, l'énergéticien indique que les épisodes de canicules et d'étiage n'ont pas eu d'impact sur la sûreté des installations puisque les températures ambiantes dans les bâtiments sont restées inférieures aux limites garantissant la sûreté des matériels.

L'énergéticien a également pris des dispositions au quotidien pour veiller à la juste consommation d'eau et à la préservation de l'environnement, étant donné que l'eau restituée doit respecter une certaine limite réglementaire de température pour limiter les nuisances à la biodiversité environnante. Par exemple, les équipes d'exploitation effectuent un pilotage affiné de la production de vapeur lors des phases de démarrage et optimisent la production d'effluents liquides.

Durant l'été 2022, seules cinq centrales nucléaires - Blayais, Bugey, Golfech, Saint-Alban et Tricastin - ont fait l'objet de modifications temporaires de leurs limites réglementaires pour les rejets d'eau. Ces modifications ont permis de préserver 0,2 TWh et n'ont pas eu d'effets sur la mortalité piscicole ou sur l'état sanitaire, d'après les résultats de la surveillance effectuée par EDF.

Quelles solutions à long terme?

Plusieurs options sont aussi sur la table pour optimiser la gestion de l'eau dans les centrales nucléaires à l'avenir. L'énergéticien anticipe des investissements dans des réservoirs d'effluents supplémentaires et s'intéresse à une innovation de chercheurs du MIT qui permettrait de récupérer les vapeurs d'eau issues des centrales électriques et ainsi de réduire la consommation d'eau.

Dans le cadre des futurs EPR2, tous les sites nucléaires intègreront deux systèmes différents de refroidissement du coeur du réacteur en cas d'urgence, l'un grâce à l'eau et l'autre grâce à l'air atmosphérique. Pour les nouveaux réacteurs en bord de mer, une marge de conception d'un mètre sera prise pour couvrir les impacts du changement climatique sur la hausse du niveau de mer à l'horizon 2100.

Jacques Percebois plaide, quant à lui, pour que les nouvelles constructions se concentrent en bord de mer, une localisation qui permet de bénéficier durablement d'eau en grande quantité. "Il est également possible d'améliorer les rendements pour éviter d'avoir trop de chaleur à refroidir et récupérer une partie de cette chaleur pour les terres agricoles", suggère le directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie.

"On peut aussi construire des réacteurs qui n'ont pas besoin d'eau comme ceux à neutrons rapides refroidis au sodium mais ce ne sont pas des solutions immédiates."

Et la production hydroélectrique?

L'été 2022 a été marqué par trois épisodes de canicule qui se sont traduits par des débits des cours d'eau très bas et des températures de l'eau qui ont atteint les maximales historiques. Du côté des stocks hydrauliques, ils ont été historiquement bas, 2022 ayant été l'année la moins arrosée depuis 1960 d'après les données d'EDF mais l'énergéticien est parvenu à reconstituer les réserves pour avoir une disponibilité maximale en vue de l'hiver. Sur l'année 2023, le taux de remplissage des réservoirs d'eau a chuté jusqu'à 49% en février mais est désormais proche des 70%, soit un niveau supérieur à la même période l'année dernière.

"Le changement climatique aura un impact minimal avec l’augmentation de l’évaporation qui se limitera à un demi TWh par décennie, indique Emmanuelle Verger, directrice d'EDF Hydro. La baisse des précipitations est plus difficile à prévoir, les modèles ne donnent pas tous un signal clair sur une baisse nette."

En revanche, les infrastructures hydroélectriques, à l'origine d'environ 11% de la production française, pourraient être restreintes dans leur rôle de complément voire de substitution à la filière nucléaire dans la période hivernale. "Le conflit d'usage de l'eau entre les usages agricoles et les usages d'électricité pourrait s'accentuer", estime Jacques Percebois.

"Quand il fait très chaud l'été, les agriculteurs demandent à EDF de faire des lâchers de barrage. Il s'agit d'eau que l'énergéticien garde pour l'hiver. Demain, la question sera: qui est prioritaire?"

Le professeur à l'université de Montpellier rappelle d'ailleurs que les énergies renouvelables comme les éoliennes peuvent aussi être victimes du réchauffement climatique: "S'il y a peu d'impact sur l'éolien en mer en dehors des tempêtes, les vagues de forte chaleur et les périodes de grand froid peuvent s'accompagner d'importantes réductions de vent ou de changement de son orientation pour l'éolien terrestre." Selon Thibault Laconde, "le danger est d'être confronté à une superposition des problèmes de production d'électricité entre les différents leviers."

Timothée Talbi