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Prix de l'électricité: un nouvel accord favorable à EDF, moins aux consommateurs?

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Après des mois de négociation, EDF et l'État ont trouvé un accord sur la régulation des prix de l'électricité, avec un prix moyen de 70 euros le megawattheure. Cet accord est déjà critiqué par les associations de consommateurs et les entreprises.

C'est le dénouement d'un feuilleton rythmé par d'âpres négociations. Mardi, le gouvernement a annoncé avoir conclu un accord avec EDF concernant la régulation des prix de l'électricité nucléaire. L'Arenh, actuel mécanisme, se termine fin 2025, or les entreprises signent les contrats jusqu'à deux en avance. Le nouveau dispositif fixe un prix moyen "autour de 70 euros" le megawattheure (MWh), selon les mots de Bruno Le Maire. Mais il laissera une liberté des prix là où le gouvernement envisageait, il y a encore deux mois, un prix fixe.

"Avec cet accord, nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la visibilité, la stabilité pour les ménages et le développement d'EDF", a commenté le ministre de l'Économie, promettant une "protection permanente" du consommateur sur les prix de l'électricité.

Outre le prix de vente moyen, un prix plafond de 110 euros le MWh a également été fixé. Si les prix de marché venaient à dépasser ce niveau, l'État préleverait alors 90% des revenus générés par EDF. Entre les deux, l'accord comprend un palier à 78 euros. Là encore, si les prix de marché dépassent ce seuil, l'État prélèvera 50% des revenus générés par la vente de l'électricité pour financer des aides destinées à réduire la facture des consommateurs.

Sauf que, déjà, cet accord fait l'objet de critiques. Certains acteurs reprochent au mécanisme de privilégier le financement d'EDF plutôt que le pouvoir d'achat des consommateurs.

Première critique: le niveau des prix. Le mécanisme a été pensé pour éviter qu'une nouvelle flambée des prix de l'énergie, comme la France a connu ces derniers mois, vienne grever le budget des ménages. Le prix de 70 euros le MWh a été fixé dans cette optique: suffisamment haut pour couvrir les coûts de production et les investissements d'EDF mais en même temps assez bas pour être soutenable pour les Français.

Sauf que ce barême est défini après une année marquée par de fortes hausses des tarifs réglementés de l'électricité: d'abord +15% en février 2023, puis +10% en août et a priori une nouvelle hausse de 10% en février prochain. Si l'accord signé ce mardi stabilise les prix pour les prochaines années, il les stabilise donc, en réalité, à un niveau bien supérieur à celui d'avant la crise énergétique.

Par ailleurs, le prix de 70 euros le MWh est supposé coller au coût de production nucléaire d'EDF. Sauf que la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a récemment évalué ce coût à 60 euros le MWh. Un différentiel justifié par Luc Rémont, le PDG d'EDF, lors de son audition au Sénat le 8 novembre.

"Les coûts d'EDF sont, sur la partie de nucléaire historique, plus proches de 70 euros le MWh. Voilà un ordre de grandeur qui définit notre économie sur le parc existant. Donc naturellement, il nous faut être capable de vendre en moyenne notre électricité un peu au-dessus de ça pour être capable de contribuer au financement du renouvellement du parc."

EDF a donc eu gain de cause dans la négociation. Résultat, le premier seuil au-dessus duquel les revenus d'EDF seront ponctionnés, et donc à partir duquel le gouvernement pourra reverser des aides aux consommateurs, intervient à 78 euros/MWh. Soit, finalement, près de 20 euros au-dessus du prix de base recommandé par la CRE.

"C'est le résultat de nos anticipations de long terme sur 15 ans après 2026, a expliqué Luc Rémont. Quand on regarde en arrière, sur les 15 dernières années, les prix de marché ont eu des périodes très en dessous de 42 euros le MWh [le prix garanti dans le cadre de l'Arenh] puis très au-dessus de 100 euros le MWh." Il a également ajouté qu'à l'heure actuelle, les prix proposés par EDF sont à 83 euros le MWh pour 2027 et 77 euros le MWh pour 2028.

Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - 07/11
Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - 07/11
18:16

Les associations de consommateurs dénoncent l'accord…

Sauf que, quelques heures après la fumée blanche annoncée à Bercy, l'association de défense des consommateurs CLCV a dénoncé un accord conclu "sur le dos des consommateurs".

"Sous la pression d'EDF, (le gouvernement) se contente de passer en force pour imposer un prix du nucléaire exorbitant qui va de nouveau grever la facture des ménages", écrit l'association.

D'après elle, l'accord négocié "sans aucune consultation extérieure" entre l'exécutif et EDF conduira à augmenter "injustement la facture des ménages de plus de 10%". "Ni l’État ni la CRE ne sont choqués par le fait qu’aux États-Unis et en Finlande, le prix du nucléaire est de l’ordre de 30 euros le MWh. Ils nous imposent le double en nous disant que tout cela est très objectif.

"C'est certes plus protecteur quand on est en crise, quand les prix sont supérieurs à 70 euros, mais les normales des prix ce sont plutôt entre 50 et 70 euros", rappelle Nicolas Goldberg, partner chez Colombus Consulting, sur BFM Business.

"Quand l'État dit 'entre 78 et 110 euros vous êtes protégé', en réalité le prix se balade quand même beaucoup dans cette fourchette et vous en paierez la moitié. Donc on est un peu protégé mais pas tellement", souligne l'expert de l'énergie.

Selon lui, "il n'y a aucune garantie" dans le mécanisme "que le prix moyen sera maintenu autour de 70 euros".

… les entreprises aussi

Le Comité de liaison des entreprises consommatrices d'électricité (CLEEE), qui représente de grands consommateurs d'énergie dans divers secteurs de l'économie, a également tiré à boulets rouges sur l'accord passé entre EDF et le gouvernement, regrettant "un grand pas en arrière" pour les entreprises françaises,

Ce "mécanisme d'une redoutable complexité (…) ne protègera en réalité le consommateur qu'à partir d'un prix de 110 euros par MWh et de manière très partielle", dénonce l'organisme.

"Le nouveau dispositif garantira à EDF une espérance de revenu très supérieure au coût complet de production, avec un seuil de rétrocession aux consommateurs égal à près du double du coût de production", a estimé la Cleee, qui pointe "un arbitrage fait pour des raisons budgétaires au détriment de la stabilité des prix et de la protection de l'industrie française".

Le débrief : Electricité nucléaire, vers les 70 euros/MWh - 14/11
Le débrief : Electricité nucléaire, vers les 70 euros/MWh - 14/11
21:15

Invité de la Grand Interview d'Hedwige Chevrillon ce mardi soir, Nicolas de Warren, président de l'Uniden, groupement des industries les plus énergivores, s'est montré plus tempéré, estimant qu'il ne s'agissait "pas du tout" d'un mauvais accord mais restant prudent.

"On attaque la deuxième manche, maintenant il faut qu'elle soit jouée très concrètement. Le président d'EDF a dit qu'il allait être un commercial responsable et engagé. Passons aux actes, nous sommes dans l'attente."

Il a rappelé que, pour les entreprises électro-intensives, la régulation n'est que le "troisième étage de la fusée", après les contrats bilatéraux signés directement avec EDF (et dont les négociations sont actuellement interrompues) et les contrats collectifs des 27 plus gros industriels ("Exceltium"). "Avec la combinaison de ces contrats, nous pensons couvrir 70% de nos besoins", a précisé Nicolas de Warren, le reste étant fourni via le mécanisme de régulation.

Un accord bénéfique pour les investissements d'EDF

Finalement, si ce ne sont ni les entreprises ni les consommateurs qui sortent gagnants de cet accord, c'est peut-être EDF. En imposant son tarif (70 euros le MWh) par rapport à celui de la CRE (60 euros), l'énergéticien a gratté un prix de base supérieur de 15% par rapport à la recommandation de l'organisme de régulation.

Par ailleurs, ces 70 euros ne sont pas réellement un prix de référence, plutôt un prix moyen sur 15 ans, amené à fluctuer avec des clauses de revoyure (la première dans six mois, puis tous les trois ans). Il pourrait donc, potentiellement, augmenter à l'avenir en fonction des besoins d'EDF et des coûts de production du nucléaire. Preuve que les choses ne sont pas figées, il y a dix ans, EDF estimait qu'en 2025, le prix de l'électricité tournerait autour de… 55 euros.

Car c'est aussi le but de ce mécanisme: aider EDF à regagner des marges pour financer ses investissements et rembourser sa dette. Le grand carénage, vaste programme de rénovation et de modernisation des centrales nucléaires existantes, doit lui coûter 50 milliards d'euros sur 20 ans. Les divers projets d'EPR (six sont prévus dans les années 2030) coûteront la même somme, également sur 20 ans. Et ce alors qu'EDF est en difficulté. Le groupe a perdu 18 milliards d'euros en 2022 et sa dette culmine à 65 milliards d'euros.

"EDF doit être rentable, nous ne sommes pas en Union soviétique. Ce n'est pas parce qu'EDF est nationalisé qu'il doit fonctionner à perte. EDF doit dégager des bénéfices pour financer ses investissements", a insisté Bruno Le Maire mardi.

"Nous avons fait face à un problème industriel important qui a réduit notre capacité de production temporairement, a déploré de son côté Luc Rémont. Notre ambition est de remonter notre niveau de production chaque année pour atteindre un ordre de grandeur de 360 TWh sur le parc existant et de le porter au-delà en complément de puissance. L'horizon de 400 TWh est ambitieux mais accessible. C'est une des conditions de succès de notre capacité de financement."

Le feuilleton n'est pas totalement terminé puisque le ministre de l'Économie a précisé que l'accord serait mis en consultation auprès des fournisseurs, des industriels ou encore des associations de consommateurs et que les parlementaires y seraient associés.

Clément Lesaffre