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Neutralité carbone: les Français ne sont pas prêts à bouleverser tous leurs comportements

D'après une enquête conjointe de RTE et Ipsos, les Français sont conscients du changement climatique. S'ils sont ouverts à certaines transformations pour atteindre la neutralité carbone, leurs aspirations les freinent sur d'autres changements.

Jusqu'où les Français sont-ils prêts à bousculer leur mode de vie face au changement climatique? Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) et l'institut de sondage Ipsos ont réalisé une enquête* entre juillet 2022 et mai dernier auprès d'un échantillon de 11.000 à 13.000 personnes. L'étude se penche sur l'appétence des Français à réaliser des actions en faveur de la transition énergétique, l'évolution de cette appétence à la suite des tensions énergétiques survenues pendant l'hiver 2022-2023 ainsi que les comportements intervenus lors de cette crise énergétique et leurs perspectives de pérennisation.

Le premier enseignement fondamental de l'enquête est qu'il existe une forte prise de conscience du changement climatique, 87% des interrogés estimant que le phénomène est une réalité tandis qu'une proportion identique s'en inquiète. Une majorité d'entre eux sont favorables sur le principe à des changements dans les modes de vie et plaident pour des mesures rapides et énergiques quitte à ce que cela demande des sacrifices financiers. Mais "cette déclaration de principe ne se confirme pas pleinement dans les questions thématiques au niveau individuel", observent RTE et Ipsos.

Une ouverture aux voitures et aux systèmes de chauffage électriques

L'enquête montre que les Français sont ouverts à certaines des transformations nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, notamment au travers de gestes simples de sobriété. Il peut s'agir de pérenniser les actions de sobriété énergétique mises en place cet hiver: trois quarts des sondés affirment avoir fait des efforts sur leur consommation l'hiver dernier. La quasi-totalité des interrogés (91%) a été économe sur les consommations liées à l'éclairage tandis que plus de trois quarts d'entre eux ont réduit le chauffage de leur logement pendant la nuit ou encore éteint leurs appareils lorsqu'ils n'étaient pas utilisés.

Par ailleurs, l'électrification de la voiture individuelle à un rythme compatible avec les besoins de la neutralité carbone est vraisemblable puisque plus d'un sondé sur trois (37%) opterait pour un moteur hybride et électrique si son véhicule tombait en panne ou n'était pas réparable. Un report qui s'observe également pour le système de chauffage: parmi les propriétaires qui envisagent de changer le système de chauffage, 44% s'orienteraient vers une pompe à chaleur électrique ou des radiateurs électriques.

Enfin, les moyens de production d'électricité bas carbone ont plutôt la cote auprès des Français. C'est particulièrement le cas des centrales hydrauliques et des panneaux photovoltaïques dont deux tiers des sondés ont une bonne opinion. Les avis sur les centrales nucléaires et les éoliennes sont plus partagés mais penchent quand même largement en faveur de ces moyens de production.

Nombreux freins à la rénovation des bâtiments

D'autres transformations touchant plus particulièrement aux modes de vie sont envisagées par une partie des Français mais plus difficilement accessibles en l'état. C'est le cas de la réduction de l'usage de la voiture qui apparaît limitée "même si de nombreux Français serait prêts à se tourner vers les mobilités douces et les transports collectifs à condition que l'offre de transports en commun et de pistes cyclables soit adaptée et enrichie". Seul un tiers des sondés envisagent de réduire leurs déplacements en voiture individuelle au cours des 5 prochaines années et près de la moitié d'entre eux estime que ce sera difficile. Par ailleurs, ils sont très peu à envisager de remplacer leur voiture par un modèle compact, un vélo électrique ou même un deux-roues motorisé électrique.

Concernant la rénovation des bâtiments, elle est prévue par plus d'un quart des propriétaires sondés dans les 3 ans à venir et près de la moitié d'entre eux sur un horizon plus lointain (5 ans). Si le revêtement des sols et des murs arrive en tête des opérations envisagées, de nombreux freins subsistent en vue de travaux d'isolation: 94% des propriétaires interrogés citent des freins économiques comme le coût ou les doutes sur la rentabilité et 58% des freins liés au montant ou à l'obtention d'aides financières qui restent méconnues.

"La réduction de la surface de logement est envisagée par une partie des Français de même que la colocation, notamment avec des proches, explique l'enquête. En pratique, la tendance est plutôt contraire depuis plusieurs années et associée à de la contrainte." Seulement 30% des personnes interrogées envisagent sérieusement de déménager un jour dans un logement plus petit.

"Ces transformations ne pourront avoir des effets sensibles sur la consommation énergétique qu’avec des mesures sur l’offre et un accompagnement spécifique des ménages dans la transition. Il existe des 'marges de manœuvre possibles mais actuellement contraintes' sur plusieurs thématiques."

Attachement à la voiture et à la maison individuelle

A ce jour, certaines modifications plus fondamentales du modèle de société sont en net écart avec les aspirations des Français et se heurtent à des freins culturels et organisationnels importants. "Cela ne signifie pas que ces changements sont impossibles ou qu’ils n’auront aucun effet sur les consommations énergétiques à terme mais que des changements de contexte importants seront nécessaires pour rendre ces scénarios désirables", précise RTE. Par exemple, le renoncement total au véhicule individuel est encore loin d'être acquis. 89% des personnes interrogées par Ipsos déclarent ainsi s'en servir plusieurs fois par semaine pour se déplacer. Si plus de deux tiers d'entre eux ont néanmoins réduit leurs déplacements une très large majorité (88%) remplaceraient leur voiture si elle tombait en panne ou n'était pas réparable.

"Cela traduit une perception de ne pas disposer d’alternatives à la voiture individuelle mais aussi un attachement fort à la voiture", analyse RTE.

Dans le même sillage, le rêve de la maison individuelle perdure en France: plus de 60% des sondés vivant dans un logement collectif préféreraient basculer vers une maison individuelle en cas de déménagement. En parallèle, seulement 14% des sondés qui habitent dans une maison individuelle iraient vers un logement collectif s'ils déménageaient. "Le choix de logement est toutefois dès maintenant contraint par l’offre, ajoute RTE. Les enjeux de maîtrise des surfaces artificialisées et de l’étalement urbain conduisent à ce que la tendance récente soit déjà orientée vers une légère croissance de la part de logements collectifs, quand bien même ce n’est pas l’aspiration déclarée des Français."

Enfin, l'enquête met en évidence un intérêt limité pour le recours à des espaces partagés avec les voisins. Surtout, cet intérêt est plutôt orienté vers des espaces qui sont rarement à l'intérieur des logements et donc rarement chauffés. Dans le détail, près de 70% des Français accepteraient de partager au moins un espace avec leurs voisins, plus particulièrement un parking ou un espace pour ranger les vélos (plus de la moitié des répondants). C'est en revanche plus mitigé pour un jardin (35%), une cave (26%) ou encore une terrasse (22%). Les raisons invoquées pour expliquer ce refus majoritaire pour la plupart des espaces sont l'intimité (citée par 63% des sondés) mais aussi la méfiance à l'égard d'inconnus qui est mentionnée par un tiers des personnes interrogées.

*L'enquête a été réalisée par l'institut de sondage Ipsos pour le gestionnaire du réseau de transport électrique RTE auprès d'un échantillon de 11.000 à 13.000 personnes représentatif de la population. L'enquête a été réalisée en deux vagues entre juillet 2022 et mai 2023, l'une avant l'hiver et l'autre après.

Timothée Talbi