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Italie, Belgique, Pologne, Pays-Bas, Suède... Pourquoi toute l'Europe (sauf un pays) veut maintenant se relancer dans le nucléaire

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Les pays européens estiment que le nucléaire, avec le renouvelable, est le meilleur moyen d'éviter la dépendance aux énergies fossiles importées et la volatilité des prix, qu'ils subissent depuis l'invasion russe de l'Ukraine.

Après avoir connu des fortunes diverses, l'énergie nucléaire connaît un regain d'intérêt dans plusieurs pays du monde, notamment européens, en réponse à l'urgence climatique et aux besoins accrus en électricité. Cette énergie a connu un coup de frein avec l'accident de la centrale de Fukushima au Japon en 2011. L'Allemagne et la Suisse décident alors son abandon tandis que l'Italie avait voté pour la sortie du nucléaire par référendum dès 1987 après l'incident de Tchernobyl.

Quelques années plus tard, la production nucléaire mondiale devrait pourtant atteindre un record en 2025 selon l'Agence internationale de l'énergie et même continuer de gagner des parts après 2030. D'après le dernier rapport annuel de l'AIE, les énergies renouvelables et le nucléaire ont fourni 80% de l'électricité supplémentaire consommée l'année dernière. Ensemble, ces deux sources d'énergie représentent pour la première fois 40% de la production totale d'électricité dans le monde.

Une "décision fatale" pour Merz

Le Vieux Continent concentre notamment deux champions historiques. D'abord la Grande-Bretagne. Le pays doit arrêter progressivement ses neuf réacteurs dont beaucoup arrivent en fin de vie mais, après la fermeture de ses centrales à charbon, il mise sur de nouvelles unités pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le seul chantier en cours à Hinkley Point C a cependant vu ses coûts s'envoler et son calendrier retardé.

Et surtout la France qui, avec 57 réacteurs dont le dernier raccordé au réseau fin décembre 2024 avec 12 ans de retard, reste le pays le plus nucléarisé par habitant. Après avoir prévu de fermer des sites, Paris a annoncé en 2022 un nouveau programme de 6 voire 14 réacteurs, le premier étant attendu en 2038. L'Hexagone est devenue le fer de lance européen de la relance de l'atome, à la tête d'une "alliance européenne du nucléaire" d'une douzaine de pays

Mais leurs ambitions se heurtent aux réticences d'autres pays dont l'Allemagne qui a débranché ses trois derniers réacteurs en 2023. Les dernières élections législatives ont vu le sujet du nucléaire revenir en force dans le débat public outre-Rhin. Initiée dans les années 2000, la sortie de l'atome a été accélérée par Angela Merkel après l'incident de Fukushima.

Pendant la dernière campagne électorale, le conservateur Friedrich Merz a néanmoins qualifié la fermeture des centrales allemandes de "décision fatale". Et pour cause, Berlin est désormais contraint d'importer une quantité significative d'électricité, notamment depuis son voisin français, et ce, malgré le développement accru de ses capacités de production d'énergies renouvelables.

Si le nouveau chancelier -contraint par sa coalition- n'a pas annoncé de relance du nucléaire outre-Rhin, il a néanmoins entrouvert une porte début mai en publiant dans Le Figaro une tribune avec Emmanuel Macron dans laquelle les deux dirigeants appellent à "un réalignement de leurs politiques énergétiques, fondées sur la neutralité climatique, la compétitivité et la souveraineté" et ce "sans traitement discriminatoire toutes les énergies bas carbone au sein de l’Union européenne".

Rome et Bruxelles reviennent sur leur décision

D'autres pays comme les Pays-Bas ou la Suède expriment un intérêt renouvelé pour le nucléaire à la fois lié au besoin de souveraineté énergétique et au besoin de décarbonation des économies : les deux pays ont récemment lancé de nouveaux projets de centrales. Comme l'énergie éolienne ou solaire, le nucléaire ne rejette presque pas de CO2 dans l'air.

Le Danemark aussi a annoncé ces dernières semaines son intention de reconsidérer son interdiction de l’énergie nucléaire en vigueur depuis 40 ans. Là encore, un changement majeur de politique énergétique.

Et la liste n'est pas terminée: l'Italie, la Belgique ou encore la Suisse qui souhaite relancer l'industrie nucléaire pour assurer leur sécurité énergétique, notamment menacée par la chute des livraisons de gaz russe.

Fin février, le gouvernement italien a rouvert l'hypothèse d'un retour à l'énergie nucléaire après environ 40 ans d'opposition de l'opinion publique, même si les experts estiment qu'il faudra au moins une décennie avant que ce tournant ne soit effectif. Le gouvernement de Giorgia Meloni soutient que le nucléaire pourrait jouer un rôle clé dans le renforcement de la sécurité énergétique de la péninsule, ainsi que dans la décarbonation et la réduction des prix élevés de l'électricité.

Le ministre de l'Énergie, Gilberto Pichetto Fratin, a fixé un délai d'un an pour élaborer un cadre juridique permettant le retour au nucléaire, avec des réacteurs traditionnels ou de nouvelle génération.

Il y a quinze jours, la Belgique a acté son renoncement à sortir du nucléaire par un vote des députés abrogeant une loi emblématique de 2003. Concrètement, le nouveau texte, voté à une large majorité, supprime toute référence à une sortie de l'atome en 2025, ainsi que l'interdiction qui était faite à la Belgique de construire de nouvelles capacités de production nucléaire. Il offre la possibilité d'étendre la durée de vie d'autres réacteurs, au-delà des deux déjà prolongés pour dix ans - jusqu'en 2035 - après un accord conclu en 2023 entre l'Etat belge et l'exploitant du parc nucléaire, le groupe français Engie.

Pragues et Varsovie veulent réduire leur dépendance au charbon

Pour la Pologne ou la République tchèque, l'orientation vers le nucléaire vise à être moins dépendants du charbon. Environ 63% de la production d'énergie polonaise dépend de ce combustible. L'immense centrale thermique de Belchatow est le "plus grand émetteur de gaz à effet de serre" de l'UE, selon l'organisation environnementale Ember. Le gouvernement précédent a franchi une étape vers la transition du charbon en septembre 2023 en signant un accord pour la construction de la première centrale nucléaire du pays. Le premier réacteur devrait entrer en service en 2033. La Pologne prévoit d'avoir trois centrales nucléaires, à trois réacteurs chacune, générant environ 30% de sa production d'énergie.

La République tchèque veut quant à elle construire d'ici à 2036 deux nouveaux réacteurs dans le cadre de sa transition vers des énergies moins polluantes. L'appel d'offres a été remporté par la société sud-coréenne KHNP et la signature devrait être officialisée dans les semaines à venir après avoir été retardée par des recours de Westinghouse et de l'énergéticien français EDF. Le groupe énergétique tchèque CEZ, contrôlé par l'État, exploite deux centrales nucléaires, Temelin et Dukovany, toutes deux situées dans le sud du pays, qui représentent environ 40% de la production nationale d'électricité. Avec les deux nouvelles unités et de petits réacteurs modulaires devant être construits d'ici à 2050, cette part pourrait grimper à 50%, alors que le pays se détourne du charbon et s'est affranchi du pétrole et du gaz venus de Moscou.

Madrid résiste toujours

A rebours d'une partie de l'UE, acquise au retour de l'atome, l'Espagne continue de miser sur une sortie définitive du nucléaire, prévue à l'horizon 2035. Mais la pression monte sur l'exécutif, sommé par de nombreux acteurs de revoir sa position assumée par le gouvernement de gauche, qui souhaite fermer toutes ses centrales nucléaires d'ici 10 ans alors que le pays est devenu le champion européen de la transition énergétique.

Au plus fort de l'engouement pour l'atome, dans les années 1980, l'Espagne disposait de huit centrales, qui fournissaient 38% de son électricité. Aujourd'hui, elle n'en a plus que cinq, comptant sept réacteurs et représentant 20% de son mix électrique. Et ce poids devrait à nouveau reculer en 2027-2028 avec la fermeture programmée des deux réacteurs d'Almaraz, dans la région d'Estrémadure (ouest).

Cette centrale, la plus puissante du pays, produit 7% de l'électricité espagnole et 15% de l'électricité madrilène. Sa fermeture, actée en 2019 dans le Plan national pour l'énergie et le climat (PNIEC), a reçu l'aval des entreprises concernées.

Mais à l'approche de la date butoir, qui implique de lancer très en amont la mise en veille, l'inquiétude monte dans la filière. Avec l'électrification du parc automobile et les besoins générés par l'essor des data centers, sur fond d'engouement pour l'intelligence artificielle (IA), la demande d'électricité risque en effet de bondir dans la péninsule au cours des prochaines années.

Timothée Talbi